Ma petite madeleine de Proust
Vous seriez bien surpris si je vous invitais à partager ma « petite madeleine de Proust », elle n’en a ni la forme, ni le parfum, ni le goût .Elle est plate ronde et dorée, d’ environ 15 centimètres de diamètre, d’un centimètre d’épaisseur, et son parfum d’huile d’olive , presque imperceptible à l’odorat se confond à son gout légèrement salé, et elle se déguste par petites portions, délicatement friable sous les dents, vous l’avez peut-être deviné « ma petite madeleine de Proust » est un Kessra algérienne.
Son pouvoir évocateur me restitue les escapades de mon enfance dans la campagne algérienne, quand j’allais rendre visite à Loucha, une grand-mère Kabyle, rose et blonde, toute ridée comme une pomme, mais si belle avec ses pommettes roses et ses yeux bleus brillants comme des étoiles, sous ses cheveux blonds striés de mèches blanches.
Madame Loucha habitait une petite maison entourée d’une cour protégée de roseaux, ou elle siégeait assise en tailleur devant son Kanoun et bien souvent elle y passait son temps à cuire des galettes de semoule (Kessra) et d’autres gâteries qu’elle me faisait goûter quand je lui rendais visite tout en me racontant des histoires de mariage ou d’autres réjouissances qui me ravissaient tout autant que les contes de Perrault.
Eh bien, ce matin à Paris sous un soleil tout à fait surprenant après les longs jours de pluie que nous venons de traverser, je me suis sentie tout d’un coup saisie d’une envie d’école buissonnière et mes pas m’ont dirigée vers le marché de Belleville, un de ces haut-lieux parisiens qu’il ne faut pas manquer quand on veut se retrouver dans une ambiance authentiquement nord-africaine. Des étals à perte de vue, recouverts de fruits, de légumes et de toutes sortes d’articles provenant d’Algérie, du Maroc, de Tunisie, tenus par de marchands dont les voix se recouvrent, les unes les autres, pour proposer à qui mieux- mieux leurs marchandises pour « un’euro seulement les deux , Madame » ou « un’ euro les trois » ou encore pour ou encore « un’euro seulement les trois , les quatre, Missieux-Dame »… goutez… goutez …, le tout entrecoupé de plaisanteries avec les clients habitués qui remplissent leur cadis et leur panier, tout se bousculant les uns les autres pour se frayer un passage dans la foule nombreuse et bon enfant.
Et c’est là ce matin en me frayant un passage dans le marché de Belleville, que j’ai découvert pour « un ‘euro cinquante seulement », une Kessra, « ma petite Madeleine de Proust », sur l’étal d’un boulanger qui, en encaissant le prix, m’a gratifié d’un « bon appétit Madame » avec le plus parfait accent algérien. Ce Boulanger très sympathique et courtois ne pouvait pas savoir que j’avais acheté en même temps que ma galette une page de mon enfance, et c’est bien vrai qu’en dégustant, petit à petit, ma galette sur le chemin du retour, j’ai revu et retrouvé le grand ciel bleu, le grand soleil, les eucalyptus, les roseaux, les bougainvilliers, les fleurs des champs, la petite allée de terre qui conduisait à la maison de Loucha, les parfums des jasmins et des orangers, et biens d’autres souvenirs encore , tout ce qui dans ce temps-là enchantait les jours de mon enfance et que je porte enfouis en moi comme un paradis secret.
Hélas je n’ai pas le talent de Proust pour faire de « ma madeleine de Proust » une œuvre littéraire brillante et impérissable, mais tout de même cette petite page aura le modeste mérite, je l’espère, de raviver les souvenirs de certaines et certains qui comme moi sont nés outre-mer et qui souvent ici s’attendrissent un peu comme Proust « A la recherche du temps perdu », ….du côté de chez Swann, de Belleville ou d’ailleurs.
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