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vendredi 16 novembre 2007

VIVE LE ROI MELCHIOR (suivi de la mélopée de Sanguima)



VIVE LE ROI MELCHIOR !

(Un conte écrit par Magalie)

MELCHIOR, un bel homme noir au visage épanoui et au corps d’ébène finement musclé, était installé depuis deux ans déjà avec sa femme Assetou et Melchior Junior leur bébé d’un an, dans un petit trois pièces du vingtième arrondissement de Paris.

L’appartement était coquet, bien tenu, la joie et le bonheur régnaient habituellement dans leur foyer. Mais en cette période difficile où le climat économique et social s’assombrissait, la reprise de l’emploi se faisait attendre et six mois consécutifs de chômage faisaient perdre à Melchior l’espoir d’une possibilité d’embauche rapide. Il recevait journellement des réponses qui pouvaient se résumer ainsi …… « Vos compétences et qualités professionnelles ne correspondent pas au profil du poste à pourvoir…. Nous vous engageons à poursuivre vos recherches en espérant qu’elles seront suivies de succès. » La lecture de ces lettres ternissait le moral de Melchior. Certes l’huissier n’était pas encore derrière la porte, il n’avait pas de dettes urgentes à régler, mais il redoutait qu’un jour prochain les économies du ménage qui s’amenuisaient de jour en jour, ne suffisent à leur procurer un quotidien sans privations. Le coût de la vie suivait son cours ascensionnel, le loyer aussi. Les factures à venir, gaz, électricité, téléphone, les avertissements d’impôt, les cotisations d’assurances et mutuelle, toutes ces dépenses qui revenaient avec une régularité d’horloge, tournaient dans ses pensées comme des roquettes explosives à moyen terme, lui faisaient monter l’adrénaline et « lui prenaient la tête », comme il le disait souvent à son ami Bébert, le patron du kiosque à journaux, avec lequel il discutait de leurs difficultés respectives. Bébert grognait toujours contre le Gouvernement et les impôts et Melchior contre le chômage, et tous deux s’entendaient à merveille pour refaire le monde en paroles, en attendant que « ça pète ».

Pour ne pas inquiéter les siens, Melchior prenait soin de garder en leur présence un calme apparent, un sourire affable, et jouait la détente. Mais le soir quand Assetou et le bébé se retiraient dans la chambre, il ne pouvait s’empêcher de reprendre la lecture de ces lettres en essayant de déceler les causes de l’échec de sa stratégie de recherche d’emploi. Déçu « il se creusait la cervelle » pour imaginer ce qu’il pourrait faire de mieux que d’éplucher les annonces des journaux, les sélectionner et y répondre sans oublier son C.V., et aussi de se rendre régulièrement aux convocations de Madame Poirette, Conseillère à l’ANPE, une jolie blonde à frisettes et lunettes, accueillante et souriante, qui l’aidait avec la meilleure bonne volonté du monde et des encouragements chaleureux, à remplir des questionnaires et des dossiers de demande d’emploi ou de stage, dont il n’entendait pratiquement jamais plus parler. Madame Poirette était presque devenue une amie et elle ne manquait jamais de demander des nouvelles d’Assetou et du bébé. Ceci le réconfortait et pour la remercier de sa gentillesse, il ne n’oubliait jamais en partant de lui faire un sourire éblouissant de blancheur, ce qui laissait Madame Poirette dans de bonnes dispositions pour recevoir les autres chômeurs. Il y avait aussi le courant relationnel, les amis qui lui tapaient sur l’épaule en lui disant … « t’en fais pas Melchior, tout finit par s’arranger dans la vie » tout en promettant de l’avertir si une occasion se présentait, « au cas où … », mais pour le moment rien ne se déclenchait de ce côté-là non plus.

Melchior avait un caractère cartésien et logique, il ne croyait pas aux miracles, c’est pourquoi il ne manquait pas de faire une moue dubitative quand Assetou l’assurait, joyeuse et décontractée, qu’il trouverait sûrement un job parce qu’elle avait rêvé la nuit passée qu’il rentrait à la maison portant une couronne, comme un Roi, et qu’il lui offrait une corbeille de fruits. Assetou croyait dur comme fer à ses rêves prémonitoires qu’elle interprétait selon ses croyances ancestrales.

- « Ah !… tu es comme toutes les femmes, Assetou, » répondait-il en s’efforçant de rire, « tu n’es qu’une rêveuse et heureusement que moi, Melchior, je suis là pour faire tourner la maison en gardant bien ma tête sur les épaules ! »

Depuis qu’il était devenu papa, Melchior se comportait comme un ancien sage Régnant sur sa famille avec dévouement, il connaissait tout le poids de ses responsabilités et ne se laissait pas distraire par des espoirs incertains. Tout ce qu’il espérait c’était de décrocher rapidement un emploi d’informaticien (c’était son métier), équivalent au moins au précédent, mais cette fois en CDI « ras le bol des CDD », assurait-il en discutant avec Bébert. Melchior déçu et tourmenté reposa les lettres avec inquiétude et se décida à aller au lit, remettant au lendemain à tête reposée, le montage d’une nouvelle stratégie.

- « A la grâce de Dieu », dit-il, « la nuit porte conseil ! »

En entrant dans la chambre il se pencha sur le berceau. Melchior junior, sa tétine rejetée sur l’oreiller, souriaient aux anges. Puis, il contempla sa femme paisiblement endormie, belle comme une belle au bois dormant, déposa un léger baiser sur son front, éteignit la veilleuse et s’étendit sans bruit à son côté, en espérant que le sommeil calmerait son désarroi. Pendant quelques minutes encore il rumina ses contrariétés et les difficultés à surmonter, mais au bout d’un moment entendant le rythme régulier de la respiration de son épouse, il finit par sombrer dans les bras de Morphée. Contrairement à Assetou la Rêveuse, comme il l’appelait pour la taquiner, Melchior ne rêvait presque jamais. Il en fût tout autrement cette nuit là. Après un sommeil agité, vers les six heures du matin, Melchior se retrouva par la magie des songes, dans son village africain, situé à l’orée d’une immense forêt, assis devant la case de sa grand-mère, la grande guérisseuse Sanguima. C’était au matin naissant, dans un ciel d’azur bleu outremer, la lune commençait à pâlir et les premiers rayons du soleil doraient déjà les cimes des arbres centenaires, les fleurs et les plantes se déployaient exhalant leurs parfums ; il perçut, venant de loin, le rugissement d’un lion. …. Tiens, se dit-il, le Roi des animaux salue le soleil levant …. ! Puis venant de la case, il entendit la voix douce et grave de sa grand mère , une voix de contralto, psalmodier une mystérieuse mélopée dont elle seule connaissait le secret des paroles ; Melchior intrigué tendit l’oreille et pour la première fois de sa vie, il comprit la signification du secret des mots :

- « Je suis née Sanguima, chantait-elle, je suis née guérisseuse, dans mon pays magique au sud de l’Afrique, merci au Grand Dieu Bon qui m’a donné ce don, le jour de ma naissance, pour toute mon existence. Je connais les prières et les incantations qui donnent guérison, des hommes, des animaux, je guéris tous les maux, je chasse les démons qui hantent les maisons, l’Etoile du matin ouvre mon chemin, l’Etoile du soir me guide dans le noir, le Soleil et la Lune veillent sur ma fortune, bien souvent jour et nuit, je pars d’un pas très sûr, cueillir dans la nature, les plantes consacrées qui donnent santé, vigueur, amour, bonheur, fécondité. Moi la Sanguima, par le don du Grand Dieu qui bénit ma mission, je suis la Guérisseuse. Sous le Grand Soleil d’or qui a brunit mon corps, je tends les mains souvent pour appeler le vent, les nuages, les éclairs, alors le grand tonnerre déverse sur la terre la bienfaisante pluie qui fait naître la vie, les enfants, les moissons reviennent à foison. Je suis la Sanguima, au sud de l’Afrique mon art je pratique avec discernement, si vous ne croyez pas …. Vous ne guérirez pas. Je suis la Guérisseuse, je suis la Sanguima »

A ce moment précis du rêve la voix se tut et Sanguima apparut sur le seuil de sa case. Ses cheveux blancs retenus par un turban blanc fièrement drapé à la mode africaine, couronnaient un beau visage noir et son regard brillait d’intelligence. Elle portait une longue robe en taffetas sur fond bleu roi , brodé d’étoiles d’argent et de fleurs multicolores ; une fine ceinture en boa retenait à sa taille une petite sacoche en peau de léopard à fermoir d’argent, dans lequel elle rangeait les sachets de graines et de plantes miraculeuses, les amulettes mystérieuses et les petits bouts de bois parfumés qu’elle utilisait pour guérir les malades et exorciser les lieux envoutés. Autour de son cou un collier fait de plaquettes d’ivoire gravées de signes, de fleurs, de plantes et d’étoiles, s’étalait sur sa puissante poitrine ; autour de ses poignets et de ses chevilles des bracelets et des chaînettes d’or et d’argent retenaient des perles et des pierres couleur d’arc en ciel. Ses mains soignées et ses longs doigts fins ne portaient qu’une bague d’or à l’annulaire de la main gauche, dans laquelle était sertie une émeraude verte. Telle qu’elle se présentait très droite, hautaine sur le seuil de sa case, Sanguima imposante et majestueuse resplendissait de beauté comme une princesse habillée pour une cérémonie. Ébloui par cette apparition, Melchior se releva vivement puis se jeta a ses genoux pour saluer l’honorable grand mère. Elle étendit sur la tête de son petit fils ses deux mains en signe de bénédiction et lui parla d’une voix grave qui semblait venir de la nuit des temps :

- Te voici enfin Melchior !… je t’attendais depuis longtemps. L’ Etoile du matin t’a conduit vers moi, bienvenue et adieu, c’est la dernière fois que tu me vois, ce soir l’Etoile du soir me conduira dans ma dernière demeure ; ne me pleure pas, mon temps est accompli selon la loi du Créateur, naissance et mort sur la terre et renaissance dans son royaume, mon dernier jour est arrivé et ce soir j’irai rejoindre dans l’autre monde feu mon époux Melchior, ton grand père, l’ancien Chef des Guerriers Lions, et aussi mon fils unique, ton père, qui tous deux m’ont précédé dans le royaume du Grand Dieu Bon .Souviens-toi Melchior de mes paroles, chaque fois que tu verras apparaître l’arc en ciel ce sera signe que tous tes voeux seront exaucés et selon ma prédiction, tu seras Roi d’un Jour, Roi d’un soir et ensuite Roi pour toujours

Ayant prononcé ces paroles et ce présage, la guérisseuse Sanguima s’éleva dans le ciel où elle se transforma en étoile. Au même instant, toujours dans le rêve, tout s’obscurcit, une pluie torrentielle se déversa l’espace de trois secondes sur la forêt et le village, à la fin de l’orage un immense arc en ciel éclaira alors le ciel Africain, puis il disparut et le soleil reprit sa place dans un ciel gris bleuté teinté de l’or et du rose de l’aurore.

Melchior leva la tête vers le ciel observant tour à tour le Nord, le Sud, l’Ouest et l’Est, l’Etoile de Sanguima brillait toujours au zénith, bien haut au-dessus du fleuve Koroosangua qui serpentait à l’orée de la forêt avant de s’enfoncer sous ses grands arbres et la traverser pendant des centaines de kilomètres pour se diriger vers la mer lointaine. Alors Melchior regarda la forêt d’où il vit sortir s’avançant vers lui, majestueux et à pas comptés, un lion magnifique qui tenait dans sa gueule une simple écorce d’arbre, roulée comme un parchemin. Melchior se redressa, attendant son visiteur avec calme ; le lion s’arrêta à trois pas devant lui, ouvrit sa gueule, déposa l’écorce devant les pieds de Melchior, redressa fièrement sa tête en secouant sa longue crinière fauve et blonde, poussa un rugissement terrible en regardant le soleil bien en face et toujours majestueux et à pas comptés il retourna dans la forêt. Melchior ramassa le parchemin, le déplia et put lire gravé dans l’écorce « VIVE LE ROI DU KOROOSANGUA, VIVE LE ROI MELCHIOR » et subitement se réveilla dans son lit dans son appartement du vingtième arrondissement de Paris, en se demandant où il se trouvait, tant l’atmosphère de son rêve l’habitait encore

Puis tout reprit place autour de lui.

Assetou dormait encore, à son côté Melchior junior commençait à gigoter dans son berceau en gazouillant comme un oiseau ….. Le jour commençait à poindre derrière les rideaux, il rechercha dans sa mémoire quelques images de son rêve en tentant de les interpréter, ne trouva pas d’explications logiques à ce songe insolite et finit par se dire bah ! ce n’était qu’un songe.., mais en se souvenant de l’adieu de Sanguima, il eut un triste pressentiment et son cœur se serra malgré les paroles « ne me pleure pas, mon temps est accompli selon la loi du Créateur ». Il se ressaisit et eut envie d’aller prendre un bol d’air pour se réveiller tout à fait. Il quitta la chambre à pas feutrés, pénétra dans la cuisine qui donnait sur la rue, tira les rideaux et là, oh ! Surprise…un immense arc en ciel recouvrait le vingtième arrondissement de Paris ; il contempla ce phénomène avec émerveillement et comme dans son rêve l’arc ciel s’effaça et le soleil naissant pris sa place dans le ciel gris bleuté parsemé de légers nuages teintés du rose de l’aurore.

Du haut de sa fenêtre Melchior observa la rue ; des hommes, des femmes, des enfants passaient à pas pressés, des bus, des motos, des voitures circulaient dans les deux sens. Sur le trottoir d’en face son ami Bébert, le patron du Kiosque, rangeait méthodiquement ses journaux et magazines. Le Kiosque était le lieu stratégique d’informations et de communications de bon nombre de résidents du quartier. Au bout de la rue des commerçants préparaient leur étal où devait se tenir le marché.

Ce spectacle le ramena brutalement aux réalités du jour. Il devait sans plus tarder recommencer ses recherches d’emploi. Cette pensée le galvanisa, il prépara son café en quatrième vitesse, croqua vivement un bout de galette tartiné de confiture à la mangue, chefs d’œuvres d’Assetou qui savait tout faire dans la maison (Dieu bénisse, disait-il souvent, j’ai marié une fée du logis, une vraie pierre précieuse !), passa sous la douche à la vitesse grand V, enfila ses vêtements de sport, chaussa ses baskets à toute allure, prit le temps de se faire un sourire éblouissant dans le miroir, se trouva beau, propre, net comme un sou neuf, dévala les escaliers comme une flèche sous le regard ébahi de sa voisine Madame Charlotte, une toute petite dame de 83 ans, coquette et distinguée, adepte des bonnes manières, qui n’eut pas ce jour là le temps de répondre à son bonjour et qui se demanda ce qui pouvait bien se passer.

Melchior sortit de l’immeuble, déboucha sur le trottoir, traversa la rue en quatre enjambées, pour freiner tout net devant le Kiosque. Coiffé de sa casquette de marin d’où s’échappaient des mèches blondes, les pommettes hautes et roses, le nez fin et droit, les yeux brillants couleur d’océan, Bébert trônait maintenant derrière le comptoir de son Kiosque comme le Roi des Vikings dans son Drakkar. Dès qu’il se trouvèrent face à face, les deux amis topèrent en riant leur main droite l'une contre l’autre et échangèrent leurs plaisanteries habituelles : Salut Bébert, tu t'es encore baigné dans du lait ce matin ?. . Salut Melchior, et toi dans du chocolat ? …. Puis la conversation prit un tour plus sérieux : la hausse du tabac, l’augmentation du gazole, le relèvement des loyers, les 35 heures remises en cause par les tenants du libéralisme économique sauvage... tous ces sujets et en plus les accidents de la route et des airs et les catastrophes naturelles alimentèrent leurs critiques pendant une dizaine de minutes, enfin Melchior acheta ses journaux et quitta Bébert pour faire un tour au marché qui se tenait sur une petite place à l’extrémité de la rue.

Chemin faisant, il rencontra Madame Charlotte qui trottinait à pas menu et il la salua courtoisement, Bonjour mon ami, lui dit-elle en s’arrêtant un instant, aujourd’hui c’est la Fête des Rois, un spectacle se prépare à la Salle Paroissiale dont je reviens, le Père Jean et la Sœur Marie Louise, entourés des Dames et des jeunes de la paroisse, sont sur les chapeaux de roues. Après quelques échanges de nouvelles, ils se quittèrent.

Melchior longea le trottoir, arriva à la hauteur de la salle paroissiale, la porte était grande ouverte et il tendit le cou pour voir ce qui se passait à l’intérieur. Des groupes de femmes et d’hommes s’activaient, allant et venant de la salle à l’arrière salle, transportant des sièges, des tréteaux et des décors, un chœur et un orchestre se mettaient en place autour d’une scène improvisée sur laquelle des personnages costumés en Rois Mages, en bergers et en romains répétaient différents actes qui représentaient le périple et l’adoration des Rois d’Asie et d’ Orient lors de la nativité de Jésus, accompagnés selon les scènes par des récitants ou l’orchestre et le chœur.. Melchior remarqua qu’il manquait un Roi Mage et s’apprêtait à partir, quand soudain la Sœur Marie Louise, une petite brune provençale aux yeux noisette et à la peau dorée l'aperçut, fonça sur lui, se haussa sur la pointe de ses sandales, saisit sa manche d’une main ferme et s’exclama : Je vous tiens, Melchior, comment n’ai-je pas pensé à vous pour remplacer notre premier Roi Mage qui vient de se décommander pour cause de grippe soudaine, vous allez le remplacer, vous avez tout à fait le physique du rôle, vous ferez un Melchior merveilleux avec votre haute taille et votre beau teint noir, vous serez le Roi du spectacle ………. Melchior tenta de protester, mais l’énergique petite sœur ne lâcha pas prise et le Père Jean appelé à la rescousse le propulsa dans la troupe pour l’intégrer immédiatement à la répétition.

Assetou fût prévenue par téléphone, joyeuse et philosophe elle se dit : Tiens, on ira à la fête ce soir !… ça va un peu changer Melchior de ses recherches d’emploi, on va pouvoir respirer un peu ! …. et aussitôt elle prit Melchior junior sur ses reins en l’attachant solidement dans un large châle et se mit à danser en chantant joyeusement d’une voie douce une berceuse Africaine pour faire dormir Melchior Junior afin qu’il puisse le soir lui aussi faire la fête. Elle était belle et jeune et tout lui était bonheur. Au bout d’un moment elle déposa avec précaution le bébé endormi dans son berceau tout en murmurant « voilà mon ange, fais un bon dodo, ce soir tu devras te tenir éveillé pour la Fête »; puis elle ouvrit le grand coffre et commença à examiner ses robes, ses turbans et ses parures afin d’en choisir pour le soir.

Dans la salle paroissiale les répétitions se déroulaient à la perfection, la sœur Marie Louise et les dames de la paroisse s’activaient de tous côtés, le Père Jean supervisait les répétitions et les préparatifs. Enfin à 16 heures, il déclara que tout était « au quart de poil » et les acteurs furent libérés pour un temps de pause avant le spectacle du soir. Ils se retirèrent pour aller se reposer chez eux, laissant la salle aux équipes de nettoyages, aux décorateurs et aux électriciens, tous bénévoles.

Avant de rentrer chez lui, Melchior acheta un panier de fruits et une couronne de Roi, il espérait ainsi taquiner gentiment Assetou « la Rêveuse » qui avait prédit qu’il trouverait un job parce qu’elle l’avait rêvé portant une couronne sur la tête et lui offrant une corbeille de fruits.

Dans l’appartement, Madame Charlotte et Madame Bébert, en visite, entouraient Assetou. Toutes trois assises autour de la table basse, buvaient du thé en grignotant des petits gâteaux secs au parfum de cannelle. Melchior Junior qui venait de se réveiller d’une longue sieste tétait son biberon de blédina, assis dans sa petite chaise, tout en jouant de temps en temps avec une lance en plastique et un lion en peluche, cadeaux de Madame Charlotte son admiratrice attitrée.

Dans sa jeunesse Madame Charlotte avait gravi tous les degrés de l’Education Nationale, en commençant comme institutrice de la classe maternelle, en passant ensuite au fil du temps par toutes les classes primaires et les cours supérieurs, pour terminer dix ans avant sa retraite comme Directrice d’école. Et pendant tout ce temps elle avait continué à s’instruire le soir chez elle, apprenant plusieurs langues étrangères dont l’anglais et l’espagnol. On ne lui connaissait aucune aventure amoureuse et personne n’avait jamais osé la questionner à ce sujet, et bien que « Mademoiselle » pour l'état Civil, tout le monde l’appelait Madame. De petite taille et très mince, se tenant toujours très droite, son allure énergique et son regard direct imposait le respect aussi bien aux enfants qu’aux adultes. Sous le sceau du secret elle avait confié un jour à Assetou que son fiancé avait été porté disparu pendant la seconde guerre mondiale, mais qu’elle avait du attendre de longues années pour recevoir l’annonce officielle de sa mort survenue dans un camp de prisonniers en Allemagne. Elle n’en avait pas dit plus et Assetou très discrète ne s’était pas permis de la questionner plus avant.

Melchior arriva dans l’appartement avec sa couronne sur la tête, faisant mine pour plaisanter « d’être fier comme un pape ». Le « Roi Mage » fût reçu avec des applaudissements et des rires de bonheur ; alors il déposa son panier de fruits sur la table basse en déclarant :

- « pour la Reine du Logis, pour ma Perle précieuse »!

Assetou joyeuse l’embrassa rapidement sur la joue,

- « Merci mon Roi », murmura-t-elle doucement.

Melchior répondant à mille questions leur donna des explications sur le spectacle et les festivités qui se préparaient et toutes décidèrent d’y assister. Madame Charlotte se retira chez elle pour faire sa toilette, se maquiller avec un nuage de poudre de riz au délicat parfum d’amande, passer sa robe de soirée en moire gorge de pigeon et son boléro de renard bleu. Pour sa coiffure c’était tout simple, elle n’en changeait jamais, une couronne de boucles argentées entourait son visage mince, rose, aux pommettes hautes, au nez fin et droit et aux grands yeux bleus vifs ou transperçait une vive intelligence.

Madame Bébert annonça qu’elle viendrait comme elle se trouvait, en tailleur Chanel en tissu pieds de coq beige clair et rose. Très élégante, de taille moyenne, Madame Bébert se distinguait par un sautoir de perles fines à fermoir d’or, assorti à une bague qu’elle portait à la main gauche devant son alliance, et quelle que soit sa toilette, cette parure de bijoux ne la quittait jamais, depuis que son mari la lui avait offerte en 1990 pour leur dix ans de mariage, et à ce jour en 2004 ce couple comptait déjà 24 ans d’union harmonieuse. Leur grand chagrin était de ne pas avoir eu d’enfants, mais en compensation ils s’occupaient affectueusement de leurs neveux et nièces et des enfants de leurs amis.

Assetou sortit de son coffre une robe longue de style africain en taffetas de fond bleu roi sur lequel des fleurs d’un bleu plus clair imprimées en creux dans le tissu, jetaient une note de raffinement, un turban préformé en satin blanc drapé, un collier, un bracelet, des boucles d’oreilles, tous ses bijoux en or et en ivoire finement ciselés, puis aidée de Madame Bébert elle commença à se parer.

Le soir s’avançait, Madame Charlotte vint les rejoindre et toutes élégantes et belles entourèrent Melchior pour se rendre au spectacle. Dans la rue, Melchior Junior, cette fois bien réveillé, habillé en petit africain et juché sur les épaules de son père, riait aux éclats. En arrivant ils trouvèrent Monsieur Bébert installé au guichet, habillé en costume gris clair et nœud papillon, ses longs cheveux blonds ondulés rejetés en arrière, sans son habituelle casquette, ce qui le changeait du tout au tout et lui donnait un air de play-boy particulièrement distingué Le Père Jean l’avait réquisitionné dès son arrivée pour distribuer des places aux paroissiens qui arrivaient nombreux en famille ou en groupe d’amis, se succédant rapidement les uns après les autres.

Dans la salle, au premier rang, les édiles du vingtième arrondissement se trouvaient déjà placés. Le Père Jean et la Sœur Marie Louise leur disaient quelques mots de bienvenue, en s’adressant aux uns et autres hiérarchiquement selon leur rang et leur importance sociale. Les jeunes de la paroisse aidaient les spectateurs à prendre place, tout s’annonçait bien organisé.

A 20 heures précises les trois coups résonnèrent pour annoncer le Premier acte, le rideau s’ouvrit aussitôt sur la scène puissamment éclairée par des jeux de lumières et sur un décor de panneaux artistiquement peints représentant les déserts d’Asie et d’Orient, puis le cortège des Rois Mages, Melchior en tête splendide dans une cape de velours bleu roi rebrodée d’or et de pierreries, s’avançait, suivi des épouses et des serviteurs , observant tous le ciel, guettant l’apparition de l’Etoile annonciatrice de la nativité du Sauveur. Soudain l’Etoile surgissait étincelante leur indiquant l’itinéraire à suivre. Les spectateurs firent entendre discrètement des exclamations d’admirations et l’on entendit des petits enfants qui s’exclamaient : « C'est l’Etoile du Petit Jésus ! »……

Au Deuxième acte, le cortège des Rois Mages arrivait à Jérusalem, au Palais Royal, et entrait dans la salle où trônait le Roi Hérode, entouré de nobles hébreux et de hauts fonctionnaires Romains.

Après les salutations et les palabres d’usage les Rois Mages le questionnaient, tour à tour :

Où est l’enfant Divin qui vient de naître ?

Où est le Roi qui vient de naître ?

Où est le Sauveur qui vient de naître ?

Les Prêtres sacrificateurs consultés par Hérode, examinaient les écritures des anciens prophètes et indiquaient l’un après l’autre à BETHLEE…à BETHLEEM….à BETHLEEM !

Les Rois Mages prenaient congé d’Hérode et le cortège quittait la scène guidée par l’Etoile Miraculeuse vers BETHLEEM. Là encore des petits enfants dans la salle battirent des mains, admiratifs, en s’exclamant « Maintenant ils vont trouver la Crèche du Petit Jésus ! »

Au troisième acte le rideau s’ouvrait sur la crèche ; on voyait Marie agenouillée ( la fille du boulanger du quartier, en l’occurrence) habillée de blanc et voilée de bleu, Joseph, debout, en robe jaune et cape rouge, tous deux penchés sur le petit enfant langé de blanc, couché sur la paille, l’âne et le bœuf à proximité le réchauffant de leur haleine, et à la porte de l’étable quelques bergers et légionnaires romains observant l’arrivée du cortège.

Cette fois les petits enfants spectateurs très impressionnés par la présence du Petit Jésus sur la scène n’osèrent manifester leur joie verbalement, mais dans leur cœur une joie profonde et très pure régnait comme une merveilleuse lumière de foi.

A la vue du nouveau-né divin, les Rois Mages saisis d’une joie surnaturelle se prosternaient, priant et l’adorant, puis se relevaient pour offrir leurs présents de l’or, de l’encens, de la myrrhe, avant de quitter la crèche pour repartir dans leur royaume respectif, annonçant partout sur leur passage la bonne nouvelle : « Il est né à BETHLEEM un Sauveur qui est le Christ et le Sauveur ».

Pendant toute la représentation le jeu des acteurs avait été accompagné par des jeux de lumière et soutenu par des extraits de la Messe solennelle de Gounod, interprétée à la perfection par l’orchestre « Sainte Cécile » qui regroupait des amis du quartier, - tous musiciens professionnels dans leur vie active -, et le chœur paroissial dirigé par la Sœur Marie Louise laquelle, avant d’entrer en religion, avait été une cantatrice célèbre en Europe. C’était d’ailleurs en interprétant le Sanctus de la Messe solennelle de Gounod en l’honneur de Sainte Cécile, que la jeune chanteuse avait, autrefois, senti naître sa vocation. Depuis la Sœur Marie Louise enseignait le chant dans une école privée et dirigeait le chœur paroissial ; elle logeait dans son cœur avec un égal ravissement, la musique, les saints et les anges qui par moment, pour elle seule et en secret, chantaient des chœurs glorieux qu’elle offrait à la Vierge Marie et au Seigneur, en rémission des petits péchés de sa jeunesse profane.

A la fin du spectacle les acteurs se présentèrent tous ensemble sur le devant de scène en se tenant par la main, souriant et remerciant l’assistance en se courbant profondément pour la saluer. Les spectateurs sous le charme de l’Adoration des Mages et de la prestigieuse musique de Gounod, se levèrent tous d’un même élan, applaudissant à tout rompre. L’orchestre et le Chœur furent à leur tour ovationnés. Puis émue au-delà de toute expression, toute l’assistance entonna le « Gloria ». Cette fois « ils ont mis toute la gomme » se dit en lui-même un des édiles de l’arrondissement qui passait pour être libre-penseur. Enfin le Père Jean tout en faisant des gestes pour demander le silence à la fin de l’hymne, réussit à monter sur la scène pour inviter, le cœur remplit de joie « tout le monde sans exception » à venir déguster les galettes des Rois dans l’arrière salle. Dans l’après-midi les dames de la paroisse avaient dressé des tréteaux nappés de blanc, sur lesquels étaient maintenant déposés, offerts à la gourmandise des petits et des grands, des gâteaux, des galettes, des friandises et des rafraîchissements.

Le Père Jean souligna qu’il avait lui-même prit le soin de décorer l’arrière salle de bouquets de fleurs religieusement composés en l’honneur de ses invités. Dans ces bouquets des lys royaux voisinaient en harmonie avec des lilas et des roses, des edelweiss et des feuillages légers, qui avaient été offerts par les fleuristes du quartier.

Toute l’assistance obtempéra à son invitation et se dirigea vers l’arrière salle, les uns et les autres se saluant, échangeant quelques mots, tous unanimes sur la réussite et la bonne ambiance de la soirée. Une fois tous réunis dans la salle des agapes, les jeunes filles de la paroisse, légères et affairées comme des abeilles, allaient de groupe en groupe, offrant en souriant des gâteaux, des galettes, des friandises et des rafraîchissements. Les jeunes hommes assuraient le service, emportant au fur et à mesure les assiettes et les verres vides ; cela ne les empêchait pas de taquiner au passage les jeunes filles qui faisaient semblant de prendre des mines offusquées, mais en réalité intérieurement ravies de les intéresser.

Selon l’adjointe au Maire qui se tenait auprès de l ‘édile libre-penseur : « la Sœur Marie Louise semblait aux anges ». Elle l’était en effet, la réussite du programme musical lui incombait, c’était elle qui avait sélectionné et ordonné les extraits musicaux selon les scènes, mais la joie qui l’animait et qui teintait délicatement ses joues de rose restait céleste et pure de toute satisfaction personnelle. Elle avait passé plus de six semaines en soirées à faire répéter l’orchestre et le chœur, et à prier Sainte Cécile, patronne des musiciens, afin que tout « se passe bien », et se voyant exaucée au-delà de toute espérance, sa modestie en attribuait tout l’honneur et le mérite à Sainte-Cécile et aux exécutants, se considérant elle-même comme l’humble et modeste petite servante de Marie et de Jésus.

Près du Père Jean qui ne cachait pas sa joie, se tenait un homme noir aux cheveux blancs soigneusement lissés, beau de visage avec un regard sérieux et un sourire grave, élancé, distingué dans un élégant costume européen de style anglais. Le Père Jean le présentait aux personnalités présentes et aux invités comme « Monsieur ITOBA, Attaché culturel de l’Ambassade du Koroosangha à Paris, mon ami de jeunesse »

En effet, depuis plus de quarante ans une fidèle amitié les liait. Ils s’étaient connus en Afrique, du temps de leur jeunesse. Le Père Jean avant d’entrer dans les ordres, avait passé plusieurs années au Koroosangha comme chercheur botaniste, réputé à l’époque pour son grand savoir et ses nombreuses publications scientifiques qui faisaient encore références dans le monde entier.

La soirée se poursuivait dans la joie, les rires, les conversations, dont celle en catimini de l’adjointe au Maire et du libre-penseur. Les paroissiens échangeaient des informations et des idées sur les questions d’actualité, en critiquant les émissions de télé et la désinformation, ou bien causaient de leurs propres affaires, d’autres ne manquaient de féliciter le Père Jean, la sœur Marie-Louise, les acteurs, les musiciens, les chanteurs et les techniciens du spectacle, tout en regrettant que de telles fêtes ne se renouvelle pas plus souvent. D’autres enfin se contentaient d’observer l’assistance tout en dégustant avec gourmandise les petits gâteaux.

L’ambiance était chaleureuse. Soudain, Melchior faillit se casser une dent sur une fève en porcelaine qui représentait une couronne de roi. On lui plaça une couronne dorée sur la tête et il fût applaudi aux cris de « Vive le Roi !». Madame Charlotte, toujours présente et vaillante dans les grandes occasions, se haussa sur la pointe des pieds, lui demanda de se pencher pour lui faire une bise sur la joue, puis ensuite elle se tourna gracieuse vers Melchior junior qui suçait son pouce confortablement installé dans les bras de sa mère et lui déclara solennellement « Ton papa est Roi et toi tu es mon petit Prince ». Melchior junior lâcha sa sucette et éclata de rire.

A ce moment-là, Monsieur ITOBA, qui n’avait pas cessé durant toute la soirée d’observer discrètement la famille Melchior, se dirigea d’un pas ferme vers Assetou qu’il salua en se courbant légèrement et lui déclara courtoisement « Permettez-moi de vous complimenter, Madame, vous êtes très belle, votre bébé est absolument charmant, vous avez le bonheur et le mérite d’avoir épousé un homme de grande qualité, réellement vous avez tout ce qu’il faut pour être heureuse comme une Reine ». Il caressa ensuite légèrement la joue de Melchior Junior qui commençait à s’endormir dans les bras d’Assetou, radieuse du compliment, puis il se tourna vers Melchior, et le saluant d’un mouvement de tête altier il le questionna : « Êtes-vous bien Melchior petit-fils de feu Melchior le Chef des Guerriers Lions et de l’honorable guérisseuse Sanguima ? … - « Oui », répondit Melchior surprit et intrigué par cette question. En effet, très discret, il ne faisait jamais état de son ascendance en public et même en privé ; arrivé en France à l’âge de onze ans comme pensionnaire dans un célèbre lycée français pour y faire ses études secondaires et ensuite supérieures, il se conduisait depuis dans sa vie sociale actuelle comme Monsieur tout le monde, parfaitement intégré au monde occidental.

« Venez demain à l’ambassade du Koroosangha, reprit Monsieur ITOBA, je vous recevrai à 10 heures précises, nous ferons plus ample connaissance, je dois vous faire des révélations importantes sur vos grands parents »…

Un jeune koroosanghais, honorable père de famille, ne se serait jamais avisé de décliner une telle invitation, émanant d’un compatriote aux cheveux blancs, investit d’une haute fonction diplomatique, ayant de plus annoncé qu’il avait des « révélations importantes … » à lui faire, « sur ses grands parents ». Melchior, Roi de la nuit, le remercia et l’assura qu’il serait présent à l’ambassade le lendemain à l’heure dite. Tous ce qui concernait ses ascendants l’intéressait au plus haut point et il lui restait encore beaucoup de « zones obscures » de leur passé à éclaircir.

Madame et Monsieur BEBERT passaient de groupe en groupe, saluant aimablement leurs clients du quartier et échangeant quelques mots avec eux ; apercevant Monsieur ITOBA, ils se rapprochèrent de la famille Melchior pour le saluer courtoisement. Assetou le leur présenta, ils échangèrent quelques mots avec lui, en se déclarant honorés de sa présence, puis Monsieur ITOBA, parfait homme du monde, s’inclina courtoisement devant Madame CHARLOTTE, Madame BEBERT, et ASSETOU, effleura de ses longs doigts fins la joue de Melchior junior, et après avoir adressé pour au revoir un simple signe de tête à Monsieur BEBERT et à MELCHIOR, se dirigea vers le Père Jean. Il le félicita amicalement pour la réussite de la Fête des Rois, lui demanda la permission de se retirer devant préparer pour le lendemain un emploi du temps très chargé déjà programmé, et lui exprima son regret de ne pouvoir rester jusqu’à la fin de la soirée. Ils se quittèrent à regret après une brève accolade et un tapotement amical sur l’épaule l’un de l’autre.

Monsieur ITOBA prit congé des personnalités importantes présentes dans la salle qui se regroupèrent autour de lui pour l’escorter jusqu’à la rue. C’était visiblement un personnage ressenti comme important et considéré comme tel. A l’extérieur un garde du corps et son chauffeur l’attendaient. En prenant place dans la limousine de l’ambassade, Monsieur ITOBA très satisfait se surprit à dire à dire à voix haute « Mission accomplie, mon cher Melchior …. Allons vite!, à l ambassade.... ». Le chauffeur stylé ne répliqua pas en se disant en lui-même « il a oublié mon prénom ».

Le libre-penseur et l’adjointe au Maire avaient profité de la diversion créée par le départ de Monsieur ITOBA pour filer discrètement à l'anglaise dans la foulée sans saluer personne. Cette évasion « incivile » n’avait pas échappé au regard aiguisé de l’épouse d’un des plus importants magistrats de l’arrondissement : elle se pencha vers son mari qui était plus petit qu’elle pour lui murmurer à l’oreille : « Je suis persuadée que les relations entretenues par la conseillère municipale et son ami n’aboutiront pas à un développement durable, aucun divorce n’est programmable du côté de son ami, marié à une des plus puissantes actionnaires du Groupe X…, tel que nous le connaissons matérialiste et âpre au gain, il ne renoncera jamais à un tel avantage .. ». Son mari, le haut magistrat (lui-même secrètement coupable d’une liaison adultère qu’il entretenait avec une jeune femme, professeur d’éducation physique qui lui donnait deux ou trois fois par semaine des cours d’un genre particulier), sursauta brusquement d'agacement, puis se reprenant, osa pour une fois l’affronter en lui répondant d’une voix grinçante et d’un ton contrarié : « Ma chère épouse, même en conversation privée, vous ne pouvez vous empêcher d’employer des termes et des données économiques. Quant à moi, je suis persuadé que dans tous les cas, les sentiments d’amour priment toujours sur les préoccupations matérielles. Les relations entretenues par nos deux amis nos n’ont rien à voir avec les normes que vous enseignez à La Faculté des Sciences économiques » . En effet son épouse était l’une des plus réputés professeurs de Sciences économiques de France et de Navarre (selon l’expression consacrée par ses collègues jaloux ou admiratifs selon le cas). Après avoir écouté cette réponse qui lui avait été faite d’une voix grinçante de fausset, elle fixa son mari, le toisant et le mesurant d’un regard de mépris, et pour la première fois de sa vie elle estima que tout haut magistrat qu’il était, il n’en était pas pour le moins tragiquement et à « cent pour cent » naïf et niais, et regretta de ne pas s’en être aperçu, deux décennies auparavant avant leur mariage. Quel faux jeton, pensa-telle encore, quel petit minable ! Elle était plus grande que lui d’une tête ce qui l’obligeait à porter des talons plats pour ne pas l’humilier. Puis selon son habitude, en véritable mono maniaque des nombres et des mesures, elle se remit à compter les petits gâteaux et les rafraîchissements qui restaient sur les plateaux, en évaluant leur prix TTC. C’était pour elle une habitude secrète de tout évaluer froidement comme un ordinateur comptable, cela la rassurait. A chacun son dada !

Il était presque minuit, la soirée se terminait, les édiles entourèrent le Père Jean et la Sœur Marie Louise pour prendre congé, tout en les invitant chaleureusement à ne pas manquer la Cérémonie des Vœux et le Repas qui devait se tenir quelques jours plus tard dans la Salle Omnisport de l’arrondissement, puis tous quittèrent la salle paroissiale en ordre hiérarchique derrière le Maire, car même et surtout en démocratie il est de bon ton d’observer les préséances républicaines. Ce fût le signal du départ. L’assistance se scinda en groupe d’amis ou en famille, échangeant entre eux des congratulations et adieux d’usage, tous saluant avant de partir le Père Jean et la Sœur Marie Louise qui se tenaient devant la porte de sortie pour les remercier et leur dire au revoir, et peu à peu, la salle se retrouva vite livrée aux équipes bénévoles de nettoyage, formées en l’occurrence par les jeunes gens de la paroisse, qui cette fois en espérant faire rire les jeunes filles ou les agacer, faisaient mine de temps en temps de valser avec les balais.

Chacun se dirigea chez soi, heureux et content. Les Bébert repartirent dans leur Citroën pour rejoindre leur pavillon de banlieue. Melchior Junior s’était endormi dans les bras d’Assetou qui refusait de le laisser porter par son père « Tu es assez fatigué comme ça, avec ta journée et ta nuit de Roi ! … » disait-elle en plaisantant. Puis tout à coup elle songea qu’elle s’était peut-être trompée en interprétant son rêve, celui-ci devait simplement lui avoir annoncé la Fête qui venait de se terminer. Bah ! on verra bien … pensa-t-elle, il finira bien par trouver un job !. Melchior conduisait Madame Charlotte qui trottinait menue et ravie accrochée à son bras ; ils l’accompagnèrent jusqu’au seuil de son appartement et regagnèrent aussitôt le leur, deux étages plus haut, pour se mettre immédiatement au lit et s’endormir aussitôt. Leur sommeil fût paisible et profond et ni l’un ni l’autre ne rêva cette nuit-là.

Le lendemain matin Assetou réveillée la première pour une fois, ouvrit silencieusement son coffre où tout le linge propre et bien repassé était soigneusement rangé ; très sérieuse et affairée, elle choisit pour son mari une chemise blanche, une cravate lilas à fines rayures mauves, un costume gris perle à fins chevrons blancs , taillé sur mesure, qu’il ne portait que dans les grandes occasions, mariage des amis, baptêmes ou communions de leurs enfants, entretien d’embauche, etc. … Je sais que Melchior préfère les vêtements sportifs ou porter un jean avec un blouson, pensa-t-elle, mais pour aller à l'ambassade il faut qu’il « soit habillé ».

Après avoir déposé tous ces vêtements sur le canapé, elle les souleva un à un d’un doigté délicat et les examina à la lumière avec un œil d’expert, en plissant légèrement les paupières, traquant un éventuel faux pli ou la moindre poussière. Mais non, tout était clean et parfait !

Elle retourna dans la chambre et s’approcha du lit. « Bonjour, tu dois ce matin aller à l’ambassade » dit-elle à voix basse en caressant doucement les cheveux de son mari « réveille-toi, réveille-toi ! » Melchior ouvrit un œil dans le vague, puis l’autre, enfin réveillé tout lui revint à l’esprit instantanément. Il sauta prestement du lit, prit sa femme dans ses bras, et comme tous les matins déposa tendrement un baiser sur son front, avant de se pencher sur le berceau pour admirer son fils. Le Bébé dormait encore avec son lion en peluche et sa lance en plastique sur le coté :

-« Toi tu seras un vrai guerrier lion, murmura Melchior, sacré petit bonhomme » !

Il était fier de son fils qui lui ressemblait beaucoup d’après lui, alors qu’Assetou prétendait qu’il ressemblait surtout à l’un de ses jeunes frères, dont elle était séparée depuis son arrivée en France, quelques temps avant son mariage.

Les deux époux quittèrent la chambre sans faire de bruit, Melchior alla prendre sa douche pendant qu'elle prépara le petit déjeuner dans la cuisine où il vint la rejoindre et où ils ne s’attardèrent pas, se contentant ce matin là d’une simple tasse de thé. De retour dans le living Assetou lui présenta ses vêtements en insistant pour l’aider à s’habiller. Au bout d’un moment, fin prêt il ajusta sa cravate et ses boutons de manchettes à tête de lion finement ciselés, s’examina dans le miroir de face et de profil et satisfait embrassa sa femme sa femme en lui disant :

- « Merci.. Femme ! Garde bien la maison et le petit en mon absence et surtout n’oublie pas de lui faire une bise pour moi …. Et aussi de me préparer une bonne cuisine pour mon retour ! ».

C’était sa façon à lui de la taquiner en ayant l’air de lui donner des ordres. Elle haussa doucement les épaules et en souriant malicieusement elle répondit vivement :

- « Va-t-en, tu es presque en retard, occupe toi de tes affaires et laisse moi m’occuper des miennes, ici c'est moi la patronne ! »

Melchior, splendide et impérial, quitta l’appartement, descendit calmement les escaliers, arriva majestueux dans la rue, où Bébert en l'apercevant fit mine de tomber à la renverse :

- « Tu es magnifique, d’après ta tenue tu ne vas pas faire un jogging ? … ».

- « Je t’expliquerai »,

répondit notre héros, puis il héla un taxi et trente minutes plus tard, après avoir traversé une partie de Paris plongé dans ses pensées, il se retrouva devant l’ambassade. Deux jeunes attachés qui manifestement guettaient son arrivée se courbèrent devant lui avant de le conduire après avoir traversé les jardins, le hall et un long couloir, dans un somptueux salon décoré de panneaux laqués entourés de dorures, de miroirs, de tableaux de Boucher, et de tapisseries d’Aubusson. Installé dans une bergère Louis XVI, Monsieur ITOBA l’attendait; devant lui une table basse était garnie d’un plateau de fruits et de rafraîchissements. Sans se lever il l’accueillit avec discret sourire, lui fit signe de prendre place dans une bergère à sa droite, ce que Melchior en s’inclinant interpréta comme une marque d’honneur.

« Melchior, commença aussitôt Monsieur ITOBA, ma sœur la Princesse Royale Sanguima est morte hier dans son village à l'orée de la forêt d’où sont originaires les Guerriers Lions. Je suis le Roi ITOBA, tu es le petit-fils de ma sœur Sanguima et de feu Melchior, l'ancien Chef des Guerriers Lions, son époux. En effet vers l'époque de ses vingt ans, la Princesse Royale Sanguima qui était promise en mariage à l’un des plus nobles du pays, a été appelée en raison de ses dons de guérisseuse reconnus de tous, au chevet du Guerrier Melchior qui se mourrait d’une maladie mystérieuse. Sanguima, initiée secrètement depuis sa plus tendre enfance par sa nourrice Fatou, aux pouvoirs des plantes, des prières et des incantations, l'a soigné, guéri et sauvé d'une mort qui s’annonçait certaine. Il étaient aux dires de tous, les plus beaux du Royaume, ils étaient jeunes tous deux et ce qui devait arriver arriva, ils sont tombés amoureux fous l’un de l’autre ; bravant l’ordre royal et social, ils s'enfuirent alors du Palais Royal de Korooville, pour rejoindre au péril de leurs vies, le village des guerriers lions, traversant sans escorte la jungle et ses dangers pendant plus d’un mois, avant d’arriver au village de la forêt, où ils se marièrent suivant les coutumes locales, Sanguima se présentant aux yeux des villageois comme une jeune fille de Korooville, orpheline, sans jamais dévoiler sa véritable identité et son ascendance royale »

Melchior figé dans sa bergère n’en croyait pas ses oreilles. Tout en s’efforçant de garder une contenance digne et une écoute attentive, il se sentait très malheureux de savoir sa grand-mère morte et pour le moment c’était ce qui le frappait le plus. Son cœur était saisi d’une grande peine. Mais pour le reste il n’en était pas encore au bout de ses surprises.

« Lors de la naissance de ton père, son fils unique, Sanguima a envoyé au Palais un messager porteur d'un coffret scellé destiné à notre Père l'ancien Roi. Une fois le coffret descellé, il pu lire son message par lequel elle annonçait son mariage, la naissance de son fils et son renoncement à tous ses droits et prérogatives de Princesse Royale, tout en précisant bien que ce renoncement ne s'étendait pas à sa descendance ; elle déclarait aussi qu'elle avait choisi de vivre son amour familial avec son mari et son fils dans l'anonymat et demandait le secret le plus absolu au Roi son père, tout en sollicitant son pardon et sa protection pour sa descendance, en cas de nécessité. Elle ajoutait qu'elle préférait l'amour aux honneurs et qu'elle consacrerait une partie de son temps à soigner les habitants du village et de la forêt.

« Le Roi mon père à ce moment-là m'informa de tout secrètement, tout en me demandant de la rencontrer une fois par an incognito, pour m'assurer de sa santé et de son bonheur et d'intervenir en cas de besoin pour l'aider Pour expliquer son absence mon père avait fait diffuser des nouvelles annonçant périodiquement que la Princesse Sanguima faisait des études en Europe, puis au fil des années le silence s'est établi. Pour moi je lui rendais visite discrètement tous les ans. Je m'apprêtais à le revoir tout prochainement, en rentrant au pays, mais j'ai appris hier son décès par un messager secret. Sa mort gui m'afflige au plus haut point, m'autorise et m'oblige à te dévoiler ton ascendance et à te faire part de mes intentions pour le bien du Royaume.

« Ma défunte femme la Reine Doussamé est morte jeune sans me donner d'enfant. Fidèle à notre promesse d'amour éternel, je ne me suis jamais remarié, je suis sans fils et sans fille légitime, ton père et ta mère sont morts dans leur jeunesse te laissant seul avec la Princesse Sanguima ta grand-mère que tous au village ne connaissaient que comme la Grande Guérisseuse.

« J'ai 80 ans, je suis décidé à abdiquer en ta faveur, tu es le seul descendant de la famille royale en âge de régner. Mon ami le Père Jean m'a toujours tenu au courant de tes études, de ta valeur personnelle, de tes qualités et de ton sérieux. Notre pays a besoin d'un Roi jeune et efficace. Le Conseil royal mis au courant de mes volontés a opiné favorablement à l'unanimité. Melchior tu es Prince, accepte-tu de devenir le Roi du Koroosangha ? ... » ajouta-t-il d'une voix solennelle et sans réplique.

Melchior avait écouté tout ce discours complètement abasourdi par ces révélations, sans prononcer une seule parole puis il se jeta en pleurant, tremblant de chagrin et d'émotion , à genoux devant le Roi Itoba.

- « Roi Itoba, mon oncle, balbutia-t-il, mon cœur est en peine pour la princesse Sanguima, quand à devenir Roi, je ne suis pas digne de cet honneur »

- « Relève-toi, Prince Melchior, c'est un ordre et aussi ton devoir, tu seras Roi, coupa court le Roi Itoba d'une voix ferme, accepte, je le veux »

Face à ce vieux roi de 80 ans qui lui ordonnait son devoir, Melchior soudain se reprit, sentant monter en lui le poids de son ascendance et de ses responsabilités; il sécha ses larmes et se redressa de toute sa haute taille déclarant d'un ton ferme et assuré :

- « Qu'il soit fait selon votre volonté Roi ITOBA, mon oncle vénéré, je serais le Roi du Koroosangha »

- « Je suis certain Prince Melchior que tu gouvernera notre royaume et notre peuple dans l'équité et la justice, selon nos traditions ancestrales et royale; notre pays a besoin d'un roi jeune, fort et dynamique, capable d'assurer son avenir dans le monde moderne actuel et d'assurer la continuité de notre dynastie. Je resterai près de toi pour te guider et te soutenir, autant de temps que Dieu le voudra »

A la suite, tout alla très vite. Le Roi ITOBA dépêcha son chauffeur et son garde du corps pour aller quérir Assetou et le bébé à leur domicile. Un message de « Monsieur ITOBA » la priait de venir rejoindre son mari à l'ambassade pour 13 heures précises. Elle sourit radieuse pressentant une invitation festive :

- « AH ! Enfin une réception à l'ambassade dit-elle à voix haute en s'adressant au bébé, c'est Melchior Junior qui va être content, n'est-ce pas ? »

Comme bien souvent le bébé se mit à rire aux éclats en admirant sa mère qui déjà ouvrait le grand coffre africain où se trouvaient rangés les beaux vêtements et les bijoux africains ce qui pour lui annonçait une toute prochaine sortie.

Elle eu tout juste le temps de s'habiller et de préparer l'enfant que déjà la limousine les emportait vers leur destin.

Pendant ce temps le Roi Itoba avait donné ses ordres à l'ambassadeur et aux hauts fonctionnaires de son escorte. Un vrai branle- bas de combat, toutefois bien ordonné, secoua l'atmosphère habituellement feutrée des lieux. Tous les représentants des agences de presse internationale, des télévisions et radios, furent convoqués pour 15 heures dans la salle de conférence de l'ambassade. Des dépêches personnelles furent envoyées de la part du Roi Itoba à titre privé directement de l'Ambassade, aux différents Rois et Chefs d'état de tous les pays du monde pour annoncer l'abdication du Roi Itoba en faveur de son neveu Melchior, petit-fils de feu la Princesse Royale Sanguima.

Quand Assetou arriva à l'ambassade, elle fût à son grand étonnement, mais aussi plaisir, , reçue comme une Reine et conduite suivie d'un cortège de grandes dames, dans le salon somptueux où l'ancien et le nouveau roi l'attendaient entourés de tous les hauts dignitaires rangés par ordre protocolaire. Dès qu'elle apparut à la porte du Salon suivie des grandes dames, les dignitaires se courbèrent respectueusement, let le Roi Itoba s'avança vers elle, prit sa main pour le conduire vers son mari :

- « Reine Assetou, ma Chère Nièce, je vous présente le Roi du Koroosangha, votre époux, Melchior 1er »...

Assetou saisit de surprise se demanda si elle n'était pas en train de rêver, elle sentit sa tête tourner, son cœur battre la chamade et abandonnant le bébé sur le tapis, porta la main à sa poitrine. Melchior se précipita vers elle, l'entoura de ses bras puissants et murmura en la soutenant avec tendresse :

- « Assetou, ma chérie, ma Rêveuse, tes rêves prémonitoires se sont réalisés au-delà de toute espérance, je suis Roi. Je suis le petit-neveu du Roi Itoba qui vient d'abdiquer en ma faveur. Je t'expliquerai tout cela plus tard »

Puis selon son habitude il embrassa délicatement sa femme sur le front.

Melchior Junior abandonné sur le tapis fût relevé par une jeune femme :

- « Je vous présente la nourrice de Melchior Junior », annonça le vieux Roi qui avait tout préparé et prévu à l'avance, « elle se nomme Fatou, comme l'ancienne nourrice de ma sœur, feu la Princesse Sanguima.

Et pour la première fois de la journée, il se retourna discrètement pour essuyer une larme qui coulait sur sa joue, pendant qu'Assetou émue au-delà de toute expression, comprenant que la Grand-mère de Melchior son mari venait de les quitter pour toujours, portait de nouveau sa main sur son cœur. Melchior 1er se rapprocha d'elle et leurs deux regards confondus, ils se tinrent tous les deux par la main, pendant un long moment, dans un silence remplit de peine, de compassion et de regrets en mémoire de feu la Princesse Sanguima alias la Grande Guérisseuse du village de la forêt.

A 15 heures précises, la salle de conférence fût envahie par des personnalités importantes , parmi lesquelles le Chef de l'état Français, son premier ministre et son ministre des affaires étrangères, différents ambassadeurs et consuls en poste en France, et par tous les journalistes de presse , reporteurs et cameramen de télévisions et radios.

Les Rois firent chacun leur déclaration et à 16 heures tous les écrans de télévisions présentaient au monde entier la Famille royale du Koroosangha au complet.

Des messages de félicitations affluèrent à l'ambassade provenant par e mail et fax de tous les dirigeants et dignitaires internationaux, précédant les lettres officielles.

A 17 heures la limousine emportait la famille Royale à Roissy Charles de Gaulle, à 18 heures l'avion royal décollait du sol français, pour rejoindre 10 heures plus tard l'aéroport de Korooville, la capitale du Koroosangha, où une foule impressionnante et en liesse, accueillit et acclama les Rois Itoba et Melchior, la Reine Assetou et le jeune prince Melchior Junior.

La garde royale, constituée de guerriers torses nus, les hanches ceintes d'un pagne richement coloré et orné, retenu par une large ceinture de cuir noir cloutée d'or et à étui contenant leurs armes modernes, chacun armé d'une lance traditionnelle, escorta en bon ordre la Famille Royale jusqu'au Palais illuminé.

Dès le lendemain matin commencèrent les cérémonies d'installation du nouveau Roi qui devaient selon la coutume durer 8 jours.

Les Chefs des huit régions du pays se présentèrent au nouveau Roi au rythme d'une délégation par jour, accompagné chacun d'un détachement de son armée et de ses danseuses et danseurs en costumes traditionnelles. Il y eut des défilés de guerriers, des banquets, des fêtes et des danses. Toute la population de Koroosangha défila dans les rues de Korooville pendant plus de huit jours, acclamant les Rois, l'ancien et le nouveau, la reine et le jeune prince, et s'alimentant à volonté aux frais du royaume au moyen de mets délicats et rafraîchissements et fruits qui garnissaient les buffets dressés tous les jours, matins et soirs, dans les rues. Il en fût de même dans toutes les villes et villages éloignés de la capitale.

Les Rois et Chefs d'états étrangers, ami du Roi Itoba et du Koroosangha, furent tous reçus comme des princes au Palais et assistèrent à toutes les cérémonies dont ils garderont chacun un souvenir merveilleux.

Le neuvième jour un détachement de Guerriers Lions fût promu au rang et à la distinction de « Garde Royale »et le tout jeune Prince Melchior Junior fût officiellement nommé Général en Chef des Guerriers Lions. Tous les soldats lions levèrent leur lance en clamant « Honneur et Fidélité »

Ce même jour la famille royale au grand complet et son escorte partit suivie d'un cortège de limousines pour rejoindre en empruntant une récente autoroute le village de la forêt, en vue de se recueillir sur la tombe de Sanguima. L'autoroute traversait la jungle et la forêt en longeant par moment le grand fleuve Oosangho. C'était le début de la période sèche après les grandes pluies. La végétation, arbres, plantes et fleurs étaient splendide, et les animaux, zèbres, lions, antilopes, éléphants, girafes, hippopotames, singes, aigles, aras et biens d'autres encore pouvaient s'apercevoir de loin traversant les paysages, pour aller s'alimenter dans la forêt ou s'approcher des eaux du fleuve pour se désaltérer.

Après deux jours de voyage le cortège arriva au village de la forêt. Le Roi Melchior donna l'ordre de faire dresser sur la tombe de Sanguima une stèle en pierre blanche, sur laquelle il fit graver une fleur d'aster à cinq branches, symbole initiatique de la guérisseuse et une épitaphe ainsi conçue : « Ici repose la Princesse Royale Sanguima, Honorable Guérisseuse, épouse de Feu Melchior Grand Chef des Guerriers Lions ».

C'est ainsi que Melchior 1er restitua à son honorable Grand-mère, et pour l'éternité, ses titres et qualités.

Les gens heureux n'ont pas d'histoire. La famille Royale du Koroosangha en a une faite de joies, d'histoires d'amour et de peines, comme celles de toutes les familles du monde entier, royale ou pas. Ses membres ont comprit ces temps derniers que le fil du temps et la trame des circonstances anciennes et récentes, indépendantes de leur volonté, ont tissé secrètement à leur insu la toile de leur destinée. Ceci ne les empêche pas d'agir au jour le jour pour consolider le présent et construire, autant que possible, leur bonheur et celui de leur entourage.

EPILOGUE

Que sont devenus leurs amis et connaissances ? :

Madame Poirette, Conseillère de l'ANPE à PARIS, a fait sortir le dossier « Melchior » de la pile des demandeurs d'emploi. Sur la couverture elle a prit plaisir à écrire de sa plus belle main la mention : « Dossier à classer ; n'est plus au chômage, a trouvé une situation dans son pays » .... Enfin un chômeur reclassé se dit-elle avec satisfaction. Avec son intelligence, sa belle présentation et un si beau sourire, j'étais sûre qu'il trouverait un poste important.

Le Père Jean, atteint par la limite d'âge a décidé de prendre sa retraite. Invité au Koroosangha par « Monsieur Itoba » son fidèle ami de jeunesse, il sert à titre bénévole de conseiller pour la création, décidée par Melchior 1er, d'un Institut de recherches botaniques qui portera le nom de « Fondation Princesse Royale Sanguima ». Cette activité le comble de joie.

Madame Charlotte, voisine parisienne tant appréciée de la famille Melchior et ancienne institutrice, fait régulièrement parvenir au Jeune prince Melchior Junior des livres éducatifs joliment illustrés qu'elle choisit avec le plus grand soin. En retour elle reçoit de la Reine Assetou de longues lettres et des colis de plantes africaines pour calmer les petites douleurs de son grand âge. « C'est tout aussi efficace que les médicaments prescrits par mon bon docteur Julien Bacri » confie-t-elle discrètement à Madame Bébert. Par discipline elle prend consciencieusement les deux médications. Abondance de « soins » ne nuit pas, pense-t-elle avec un fin sourire, heureuse de plagier un célèbre proverbe.

Madame et Monsieur Bébert vont quitter le Kiosque pour prendre leur retraite en Normandie où ils viennent d'hériter d'une grande maison familiale qu'ils s'emploient à restaurer pendant leurs jours de repos, dans l'intention d'y accueillir confortablement la Famille royale du Koroosangha quand celle-ci décidera de venir « incognito » passer des vacances en France.

La Sœur Marie-Louise enseigne toujours la musique et le chant dans un collège privé à Paris et dirige toujours la chorale de la paroisse. Elle reçoit régulièrement de la Reine Assetou des enregistrements de chants traditionnels Koroosanghais; en retour la Sœur Marie Louise lui fait parvenir par la valise diplomatique des enregistrements d'airs folkloriques de nos anciennes provinces et des morceaux de musique classique. Elles ont en commun l'amour de la musique et la Reine Assetou l'amour de la danse en plus.

Que devient la famille Royale du Koroosangha ?

La Reine Assetou qui avait abandonné pour se marier des études sociales bien avancées, n'a rien perdu de son bon cœur et de sa fraîcheur juvénile. C'est avec joie et compétence qu'elle s'occupe, aidée des dames de sa suite et des ministres concernés, des affaires culturelles et sociales de son pays. Après avoir été la « Fée du logis » dans son appartement du vingtième arrondissement de Paris, elle est en passe de devenir rapidement « la Fée du Royaume », selon son tendre époux Melchior 1er qui l'appelle toujours « Ma Rêveuse » et dit souvent au Roi Itoba en parlant d'elle qu'il a marié « une pierre précieuse ».

Le roi Melchior 1er, aidé de l'ancien Roi Itoba, s'attache à moderniser son pays dans la paix, la justice et l'équité sociale. De grands projets qui avaient été préparés par le Roi Itoba et mis en sommeil dans l'attente d'un successeur sont mis en chantier, procurent des emplois et préparent l'essor économique et social du pays : construction d'hôpitaux, informatisation des administrations, extension du réseau d'autoroutes, reboisements et plantations de toutes espèces, recherches d'eau, réseaux d'irrigation, assainissements ..... Etc. .....

L'ambassade du Koroosangha à Paris a reçu pour mission en autres, de recenser tous les Koroosanghais en résidence en France et au chômage et de les inviter à postuler un emploi au Koroosangha en vue d'organiser leur retour au pays, pour ceux d'entre eux qui le souhaiteraient bien entendu.

Le Roi Melchior 1er n'a jamais révélé à qui que ce soit le rêve prémonitoire qu'il avait fait à Paris; c'est son seul secret pour Assetou. Mais quelquefois le matin au lever et avant de partir pour se rendre au Conseil Royal, il lui arrive de questionner discrètement la Reine :

- Assetou ma Rêveuse, as-tu bien dormi cette nuit ? ...

et quand la Reine lui répond :

- Ah oui j'ai rêvé de ....... »

il écoute son récit avec la plus grande attention sans jamais la contredire ou la taquiner comme autrefois, ce qui ne manque pas de surprendre son épouse qui se dit en elle même « il commence à comprendre que la vie n'est pas du cousu main ou réglée comme sur une partition de musique et qu'il existe un monde surnaturel qui nous prépare et nous avertit des événement imprévus »

Le petit Prince Melchior Junior grandit en sagesse, en force et en beauté dans le Palais Royal, il passe le plus clair de ses journées dans le grand parc qui l'entoure; surveillé d'un œil vigilant par Fatou sa nourrice et accompagné de son garde du corps, un magnifique guerrier lion en tenue d'apparat, il s'initie aux joies de la nature en observant les arbres, les plantes et fleurs magnifiques qui ornent les parterres et en observant les oiseaux dont les chants l'enchante.

Ses parents ont fait aménager pour lui, dans le prolongement du parc royal, une ménagerie où se côtoient des animaux d'Afrique et d'Europe, ces derniers acclimatés; il s'y rend souvent sous la conduite d'un zoologiste qui lui apprend comment vivent les animaux dans la nature et lui indique leur provenance.

Melchior Junior voit ses parents aux heures des repas. Assetou se réserve tous les jours deux ou trois heures sur son emploi du temps pour s'occuper de lui comme le font toutes les mamans du monde en l'éduquant, le choyant et le dorlotant; quand ils sont seuls tous les deux, elle aime bien comme autrefois à Paris l'attacher sur ses reins dans un grand châle africain et se mettre à danser en chantant pour le faire rire aux éclats; elle ne manque jamais aussi de lui faire regarder les images des livres reçus de Madame Charlotte, tout en les lui commentant.

Confidentiel :

Assetou a un secret qu'elle ne révélera à son époux qu'après avoir consulté son gynécologue; elle endure par moment quelques petits vertiges et elle a rêvé ces temps derniers d'une cigogne qui arrivait de France et se posait sur le bord d'une Fenêtre du Palais. Le bel oiseau tenait dans son bec des chaussons roses; d'après le diagnostic de Madame Bébert consulté immédiatement par téléphone sur le symbole européen de la cigogne et la signification de ce rêve insolite, Assetou est certaine qu'une jolie princesse viendra dans huit mois et quelques jours faire son entrée au Palais Royal du Koroosangha.


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La Mélopée de Sanguima

Sanguima, Sanguima
Je suis née Sanguima
Magicienne guérisseuse
J’en suis bien heureuse
Merci au Grand Dieu Bon
Qui m’a donné ce don
Le jour de ma naissance
Pour toute mon existence
Je connais les pierres,
Les herbes, les prières
Et les incantations
Qui donnent guérison
Je chasse les démons
Qui hantent les maisons
Des hommes, des animaux
Je connais tous les maux
Le Soleil et la Lune
Veillent sur ma fortune
L’Etoile du matin
Ouvre mon chemin
Et l’Etoile du soir
Me guide dans le noir
Bien souvent jour ou nuit
Je m’éloigne sans bruit
Allant d’un pas très sur
Chercher dans la nature
Les plantes consacrées
Qui donnent vigueur, santé
Amour, fécondité
Par le don du Dieu Bon
Qui bénit ma mission
Sous le grand soleil d’or
Qui a bruni mon corps
Je tends les mains souvent
Pour appeler le vent
Les éclairs, les nuages
Et faire venir l’orage
Alors le Grand tonnerre
Déverse sur la terre
La bienfaisante pluie
Qui fait naître la vie
Les enfants, les moissons
Renaissent à foison
Je suis née Sanguima
Guérisseuse Sanguima

Au Sud de l’Afrique
Mon art je pratique
Croyez au Grand Dieu Bon
Qui bénit les maisons
Croyez au Grand Bon Dieu
Qui garde nos Aïeux
Croyez au Bon Dieu Grand
Qui garde nos enfants
Au Grand Bon Dieu croyez
Il donne la santé
Si vous n’y croyez pas
Vous ne guérirez pas
Je suis née Sanguima
Guérisseuse Sanguima

conte et poésie écrits en 2004 par Lucienne Magalie PONS

Extrait du Carnet de Notes de Madame Charlotte la grande amie de la Reine et du Roi Itoba :

( Septembre 2005) Je viens de recevoir des nouvelles de la Reine Assetou, eh bien ! la cigogne avait bien annoncé une naissance et c'est une jolie princesse en effet, toute gracile et potelée qui vient de faire son entrée en scène dans le Palais Royal de Koroosanga. Le Roi et la Reine lui ont donné le prénom de Sanguima. Il parait que son teint est luisant comme un grain de café et d'après les croyances locales, la peau qui capte la lumière et la restitue distingue les guérisseurs et les guérisseuses. dès à présent le Roi et la Reine ont décidé qu'elle serait orientée, si Dieu lui prête vie - et il la lui donnera soyons en sûrs en le souhaitant de toute la force de notre coeur- vers des études de médecine.
(Novembre 2007 )- La petite Princesse Sanguima qui a fêté son 2me anniversaire au mois de septembre, grandit comme un ange de sagesse , d'après la Reine Assetout. Sa nourrice Fatou fait savoir que quand elle accompagne la petite Sanguima dans les jardins du Palais, tous les petits animaux et surtout les oiseaux se regroupent sans crainte autour de la petite fille , et là encore celà confirme la prédiction qu' elle a le don de guerisseuse, comme son arrière grand-mère, dont elle porte le prénom.