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mardi 10 août 2010

ROSE de LUMIERE - 3me Chapitre -

3me chapitre

(Suite et fin)


Les dernières prières s’égrenaient, Lucile les récitait machinalement avec tous les fidèles, tout en regardant cette fois la statue de la Sainte Vierge tout au-dessus de l’autel. La Sainte Marie portait sur son voile bleu une couronne de roses naturelles, vestige un peu défraichi de la Fête du couronnement de la Vierge qui avait été célébré en procession le Dimanche précédent.


Il n’y avait pas eu de communion des fidèles au cours de cette Grand-messe (la communion des fidèles avait lieu pendant la « petite messe » du matin) et quand le Prêtre se retourna pour « l’Ite Missa Est », Lucile et ses petites compagnes en rang discipliné se dirigèrent vers la sortie pour s’envoler enfin sur le parvis comme une volée de bergeronnettes tout en bavardant entre elles.


- Viens avec moi Albine, proposa Lucile, je dois passer à la Boulangerie chez Monsieur Juan pour acheter des bonbons et des friandises, je t’en ferais gouter, mais je ne pourrais m’attarder hélas, je dois rejoindre ma voiture très vite parce que mon cocher me l’a demandé et je ne veux en aucun cas le fâcher en le faisant attendre.


- Ah c’est dommage je voulais que tu viennes un moment chez moi nous aurions pu nous amuser un moment et cueillir des fleurs dans le jardin


- Eh bien je te le promets nous le ferons dimanche prochain, mais aujourd’hui c’est mon anniversaire et nous devons être rentré pour Midi.


Albine embrassa son amie


- « Bon anniversaire », Lucile ! Tiens voici un cadeau pour toi, dit-elle et elle sortit de son petit sac une petite médaille de la vierge en émail Bleu !


- Oh comme elle est belle ! Aides moi à la passer sur ma chaîne d’argent, Merci, Merci de tout mon cœur


Les friandises achetées elles en goutèrent un peu et se séparèrent très vite .Le cocher attendait à l’emplacement prévu.


- Je ne t’ai pas fait attendre, j’espère que tu es content Mohamed ?


- Oui c’est bien ! , je suis content, mais maintenant il faut y aller.


La voiture s’ébranla et le voyage du retour comme l’aller permit à Lucile de bavarder encore pour passer le temps ; Il faisait plus chaud qu’au matin et pour se protéger du soleil Mohammed avait relevé la capote avant de la calèche, mais cela ne la gênait pas pour admirer le paysage et le retour se passa plus vite qu’elle ne l’avait prévu. Bibi le vieux cheval pressé de retrouver son avoine et son écurie pressait son trot.



Dès qu’ils arrivèrent à la ferme Lucile demanda la permission à sa mère d’aller faire un petit tour dans le jardin.


- Oui tu peux y aller mais pas plus d’un quart d’heure, nos invités vont arriver et tu dois te trouver avec nous pour les accueillir. .Donne-moi ton petit sac, je vais le ranger et fais attention de ne pas abîmer tes chaussures dans le jardin, suis les allées et évite de t’approcher des fossés et rigoles d’arrosage, vas voir les grands rosiers et tu me diras en revenant si les roses sont bien écloses. Hier soir il y en avait quelques unes épanouies, les roses et les jaunes surtout, mais les rouges du grand rosier n’étaient tout juste encore qu’en boutons


Lucile s’échappa dans le Jardin pressée de recevoir le Message que lui avait annoncé dans son rêve la Déesse Flora et dont elle ne doutait pas un instant qu’elle tiendrait sa promesse.


Ce jardin pour Lucile était son « autre monde » un lieu secret et mystérieux qu’elle ressentait comme surnaturel quand elle s’y trouvait seule.


Elle se dirigea vers le rosier qui se trouvait en bordure au milieu du Côté Est du Jardin sous un grand acacia et s’assit pensive et contemplative, sur une grosse pierre qui se trouvait là et lui servait souvent de banc pour ses rêveries éveillées.


Le Rosier ne portait que des boutons non encore déclos et Lucile le regarda un moment quand soudain, comme en un rêve, dans sa rêverie et ses pensées, une magnifique rose rouge surnaturelle surgit du feuillage vert de l’acacia tout juste au-dessus du Rosier, dans une auréole de vibrations lumineuses, et lui délivra son message avec la voix de la Déesse Flora qu’elle avait entendu en rêve, tout en répandant un parfum délicieux :


« Je suis la Rose de Lumière, Écoutes bien Lucile, tu manque de sagesse, si tu n’appelle pas la sagesse de ta propre volonté pour la fixer dans ton cœur, et tes pensées, elle s’enfuira de toi et tout ce tu feras ensuite dans ta vie blessera ou te blessera »


- Ton caractère est trop vif et impatient attise tout tes désirs, seule la Sagesse te conduira sur le chemin de la tempérance qui est un bien précieux Voilà mon secret Lucile : la force est éphémère, la beauté est passagère, seule la sagesse est éternelle Le jour de ta naissance sept fées se sont penchées sur ton berceau, six d’entre elles t’ont données chacune un don bénéfique, ces dons se révèleront en toi au fils des années, mais la Fée Carabosse t’a jeté un sort maléfique pour se venger les autres Fées qui se moquaient de sa laideur et de sa méchanceté, alors moi en ce jour au nom de la Déesse Flora, dont la puissance est supérieure à toutes les autre Fées et en son nom , je suis chargée par elle d’effacer le sort maléfique de la méchante Carabosse et de le remplacer par une vertu , viens près de moi Lucile, respire mon parfum, tu seras purifiée et ensuite, dis- moi, parmi ces dons lequel serait le plus précieux pour toi : La Sagesse, la Force ou la Beauté, un seul d’entre ces dons te manque, c’est le seul qui m’a été confié pour te le restituer au nom de la déesse Flora, mais je ne pourrais te le rendre que si tu devine lequel d’entre ces dons te manque », telle est la sentence de la Déesse Flora .


- Rose de lumière, toutes les bonnes et belles choses de la vie me tentent et je les désire, mais je suis trop vive et je manque de sagesse dans mon impatience, je peux malgré moi blesser et me blesser, je t’en supplie de ma propre volonté, Rose lumière je veux la sagesse, peut m’importe la force et la beauté, je veux la Sagesse de ma propre volonté.


Lucile alors s’approcha de la Rose de Lumière et dans un souffle de ferveur répéta solennellement en se prosternant à genoux : Rose de Lumière de ma propre volonté, je veux la Sagesse !


- Je te la donne, accorda la Rose de Lumière, puis alors que Lucile se relevait pour la remercier, l’auréole de Lumière et la Rose disparurent dans un tourbillon de paillettes dorées légères et évanescentes qui s’évanouirent vers le ciel en l’espace d’une seconde.


Toute cette scène surnaturelle, dont nous pouvons penser qu’elle se passait dans les pensées de Lucile et non dans la réalité, n’avait pas duré plus de trois minutes.


Un sentiment doux et puissant envahissait maintenant l’âme, l’esprit et le corps de Lucile, et une grande sérénité pris place dans sa pensée et dans son cœur.



- J’ai 7 ans, aux dires de tous c’est l’âge de raison, je suis grande maintenant et ma promesse et ce don de la Rose m’évitera d’être impatiente et imprudente. Merci Déesse Flora, Merci Rose de Lumière, je vous promets de garder notre Secret à jamais



Puis posément elle quitta le jardin en le contournant à l’intérieur dans le sens des aiguilles d’une montre. Sur son chemin alors que la Rose de Lumière lui était apparue à l’ Est , elle trouva une fourmilière sur le côté Sud ; elle s’attarda un instant à regarder ces petites ouvrières qui inlassablement cheminaient en deux rangs parallèles les unes sortant de la fourmilière pour aller chercher de microscopiques débris d’aliment, d’herbes et poussières de bois, les autres revenant vers leur logis le dos chargés de leur butin précieux, elle fit encore quelques pas et tourna alors coté Ouest ou sous un grand chêne elle du sauter un petit ruisseau d’arrosage et remarqua à ses pieds au-dessus de l’eau courante un petit myosotis bleu au cœur rouge, minuscule, solitaire parmi des tiges d’avoine folle . Elle se souvient alors de la belle légende du Chevalier et du cri d’Adieu qu’il avait lancé à sa Belle Fiancée avant d’être emporté par les eaux, « Ne m’oubliez pas », elle resta un moment pensive et murmura « Non je ne t’oublierai jamais petit Myosotis », puis elle se dirigea vers la sortie et ramassa sur son parcours une tige sèche qui ressemblait à une baguette, elle continua d’avancer en s’amusant à remuer de petits graviers qui jonchaient le sol, mais au moment d’atteindre enfin la porte du jardin, elle remarqua sous des herbes au pied d’un jeune rosier, un serpent qui ondulait son corps et se dirigeait vers elle, interdite elle tendit la tige vers lui et lui dit « Sauves toi Serpent, disparait à jamais dans ton royaume, je n’ai pas peur de toi, sauves toi, vas-t-en, vas-t-en , vas-t-en à tout jamais !, le serpent disparut tout aussitôt dans la nature.


Elle s’éloigna alors à pas vif et atteignit à quelques 10 mètres de là, au milieu de l’allée la sortie du Jardin qu’elle franchit sans se retourner, pour rentrer dans la réalité du monde.



Déjà, sous les sept amandiers fleuris qui s’étalaient de part et d’autre de la sortie du jardin, le prolongeant quelque peu à l’extérieur, des tables longues en bois blanc et des tabourets avaient été disposés. Sur les tables juponnées de nappes blanches étaient offerts les gâteaux, les corbeilles de fruits de saison, les boissons, les jus de fruits et limonades pour les enfants et les cidres pour les grands et dans deux immenses coupelles en chaque bout de table se trouvaient des morceaux de glace pour rafraichir les bouteilles. Sur une petite table de côté se trouvaient déposés les cadeaux d’anniversaire. Tout autour des tables sa famille et les invités déjà se saluaient et parlaient joyeusement. Avant de les rejoindre pour commencer la célébration de son anniversaire elle s’arrêta un instant pour contempler cette scène heureuse, tous souriaient, la joie brillaient dans leurs yeux et tous en la voyant s’écrièrent « Bon Anniversaire Lucile ».


Lucile s’avança alors pour remercier et embrasser les invités, ses parents et ses frères. Une petite peine habitait son cœur, sa grand-mère Agathe, qui lui avait envoyé ses rubans de satins ciel et ses bracelets d’argent gravés de lierre, était absente, appelée au chevet de la fille d’une lointaine parente qui venait de mettre au monde un bébé et qui avait besoin d’aide pour les premiers jours.


Une fois les embrassades terminées et les cadeaux déballés sur la petite table, Lucile remercia et embrassa une nouvelle fois chacun pour son présent ; les adultes et les grands adolescents s’installèrent ensuite autour des tables et la délicieuse collation commença. Les conversations allaient bon train entre les adultes, ces messieurs parlaient de chasse, de récolte, de bétails, de progrès agricole, d’aménagement des routes et canaux d’arrosage, et des nouveaux tracteurs et matériels qui arriveraient certainement d’Amérique et d’Europe plus tard, à la fin de la guerre que tous souhaitaient proche, les dames entre elles parlaient toilettes, modes, naissances, recettes, éducation des enfants. Les enfants s’ébattaient et s’amusaient à leurs jeux préférés tout autour des tables et des amandiers et de temps en temps se présentaient à la table pour réclamer un petit pâté, une friandise, un gâteau ou une boisson .Sitôt restaurés , ils s’envolaient comme des oiseaux pour rejoindre leurs camarades en poussant des cris joyeux.



Au milieu de l’après midi alors que certains invités commençaient à prendre congé Lucile remarqua cheminant dans l’allée des Caroubiers, Aïcha la mère de Mohammed qui s’avançait d’un pas menu. Elle courut vers elle et en deux minutes fut à ses côtés :



- Bonjour Aïcha, comme je suis contente de te voir, tu sais aujourd’hui j’ai sept ans, viens, viens vite avec moi sous les amandiers, s’écria-t-elle en la tirant par la main, tu vas t’asseoir avec nous et manger des gâteaux et boire de la Limonade, c’est mon anniversaire !



- Oui je le sais ma petite, justement je venais te voir et regarde ce que j’ai porté pour toi, c’est mon cadeau !



- Et Aïcha écartant légèrement son voile blanc sorti de l’encolure de son corsage une Églantine qu’elle lui donna en se penchant pour l’embrasser sur la joue.



- Lucie toute joyeuse sentit son cœur battre de joie.



- Oh ! Je suis sûre que c’est la plus belle fleur de ton Ferblantier ! Merci, Merci Aïcha c’est mon plus beau cadeau du jour avec cette petite médaille bleu que m’a offert Albine, mais tu sais toi que j’aime les fleurs, Oh ! Merci ! Merci de tout mon cœur, je vais tout de suite la mettre dans un verre d’eau et la porter dans ma chambre. Vas vite rejoindre mes parents, ils sont toujours contents de te voir et Maman qui se doutait de ta venue a préparé pour toi une petite corbeille de gâteaux arabes qu’elle a fait acheter ce matin au marché par ton fils. Est-ce que je pourrai demain soir après l’Ecole venir m’assoir avec toi prés de ton kanoun pour te voir cuire tes makrouts et en manger un ou deux ?



- Mais bien sur ma « Zina » (jolie) si tes parents te donnent la permission tu pourras venir manger avec moi des makrouts et je te ferai voir un nouveau petit chat tout blanc et tout petit que mon fils m’a rapporté du village il y a trois jours , il est tout mignon avec des yeux verts, il parait que c’est une belle race, c’est un serviteur du marabout qui lui a donné. J’aime bien les chats, mais il faut s’en méfier, parfois ils ressemblent « à azrine » (au diable), mais ce petit là, il est tout petit et ne montre pas encore son caractère. Et puis aussi dans le Douar je t’emmènerai voir ma nièce Zohra avec ses enfants, elle a un bébé qui vient de naître et c’est ta mère qui a aidé à la naissance.



Aïcha et Lucile continuèrent à bavarder un moment, pendant que ses parents raccompagnaient jusqu’à leur voiture les invités qui se retiraient les uns après les autres, puis une fois qu’ils furent tous partis, Lucile laissant Aïcha avec ses parents sous les amandiers se retira dans sa chambre pour y porter son Eglantine.



Quand elle revint la fête était terminée et le soir s’annonçait déjà grisant le ciel bleu et le cloutant de l’or des premières étoiles dont l’Etoile de Vénus qui brillait de tout son éclat.



Lucile tout au long de sa vie se souvint de l’anniversaire de ses sept ans, du merveilleux secret de la Rose qu’elle ne dévoila jamais à personne comme elle l’avait promis à la Déesse Flora et le miracle fût que d’année en année elle devint de plus en plus sage et douce et ce qui ne gâte rien, belle comme une rose aux dires de ceux qui l’aimaient. Mais comme on ne peut être aimée de tout le monde, il est certain que d’autres l'ont trouvée pas trop sage , trop vive , emportée et même laide.



En conclusion, il vaut mieux être sage que belle, la sagesse ne provoque pas la jalousie, mais la beauté oui, et à tel point que Lucile bien souvent en fut victime dans sa jeunesse de la part même d'amies très proches et qu'elle en souffrit longtemps comme d'autant d'épines plantées dans son coeur

lundi 9 août 2010

ROSE de LUMIERE - 2me Chapitre -


ROSE DE LUMIERE

2me chapitre ( suite )

C’était le moment pour Mohammed de faire ses recommandations :


- Nous voilà arrivés, tes camarades sont déjà devant l’Eglise, je vais te laisser là et tu pourras les rejoindre, ensuite j’irai garer la voiture dans la petite rue derrière la Boulangerie et je donnerai un peu d’avoine au cheval, pendant qu’il mangera tranquillement attaché au poteau, je porterai directement la corbeille de fruits et légumes chez Monsieur le Curé, ensuite j’irai faire les commissions pour ta maman la « Moulchia » (la Patronne) et acheter des cigarettes pour le Moulchi ( le Patron) et à la fin de la Messe tu me trouveras ici. Ne bouge pas, je vais t’aider à descendre.


Sitôt dit, sitôt fait, Mohammed descendit prestement de la calèche et la contournant vers l’arrière revint à l’avant sur la gauche, pour saisir Lucile comme une plume et la déposer dans un tourbillon de mousseline blanche et de ruban bleu sur la Place de l’Eglise, comme un paquet cadeau !


Lucile rectifia les plis vaporeux de sa jupe et s’éloigna pour rejoindre ses camarades qui se tenaient au bas du Parvis et lui faisaient des signes de bienvenue, elle s’appliquait à marcher bien droite comme sa maman le lui avait recommandé, quand elle entendit des pas précipités derrière elle. C’était Mohamed qui lui portait en courant la gerbe de fleurs.


- Voilà les fleurs pour Mademoiselle Gentille de la part de ta maman, Bon ! Tu as bien compris sitôt après la messe je te retrouverai en bas de l’Allée.


Lucile impatiente de retrouver ses camarades s’irrita avec impertinence les joues subitement en feux et les yeux pleins d’éclairs d’orage :


- Non pas tout de suite après la Messe, j’aurai besoin de 10 minutes pour aller choisir mes friandises, c’est toi qui m’attendras, tu entends tu m’attendras, je n’ai pas à me presser pour personne, donc tu m’attendras !


Il arrivait parfois à la petite Lucile de prendre un ton sans réplique et elle avait justement accentué impérativement ces mots « donc, tu m’attendras » et elle s’aperçut tout aussitôt en voyant Mohammed vexé froncer ses sourcils sans mot dire, en serrant sa mâchoires, qu’elle venait de commettre une impertinence en oubliant la recommandation que ses parents faisaient quand à la façon pour les enfants de s’adresser aux adultes qui travaillaient chez eux : « surtout n’oubliez pas qu’ils travaillent pour la ferme et qu’ils ne sont pas à votre service ; vous n’avez aucun ordre à leur donner et au contraire référez vous à eux si nous ne sommes pas là pour demander une permission ou autre chose dont vous pourriez avoir besoin, et le tout sans faire de caprices et avec politesse »


Lucile pencha sur sa poitrine un visage aux joues rouges cette fois de confusion :


- Écoute-moi Mohammed, je ne voulais pas te commander, simplement te dire que je voulais aller acheter des friandises après la Messe, si tu en es d’accord, prononça-t-elle d’une voix calme et claire malgré son trouble.



Puis elle leva la tête et regardant Mohammed en face elle attendit sa réponse :



- C’est d’accord 10 à 15 minutes, pas plus d’un quart d’heure, nous devons arriver à la ferme avant votre repas de Midi et tu sais que ton père veut toujours que nous arrivions à l’heure.


- Je ferai comme tu dis, Mohammed 10 à 15 minutes pas plus


Mais en même temps elle se dit en elle-même : je ne me suis pas excusée, j’ai dit « je ferai comme tu dis », et je n’ai pas dit non plus « j’obéirai je te le promets », comme le voudraient mes parents, mais pour ce jour bien sur je l’écouterai et ne prendrai que 10 minutes, et tout en pensant à cela elle se disait aussi qu’elle avait commis une faute et qu’elle devrait en parler en confession le jeudi prochain à Monsieur le Curé. Cela lui vaudrait en pénitence peut-être une série de cinq Pater ou Ave à réciter, mais cette éventualité lui parut peu pénible et tout aussitôt elle se dit avec un relent de mauvais caractère, « si je l’écoutais sans répondre, il me ferait marcher au pas de course après la messe pour monter dans la calèche, lui il n’a que ça à faire, c’est son travail, comme il dit, mais pour moi c’est « mon dimanche » et en plus aujourd’hui mon anniversaire , je lui ai répondu donc, mais bien sur trop vivement »


Lucile comme nous pouvons le voir avait de bons et de mauvais côtés comme tout les enfants, elle était sociable, aimait étudier et recevoir l’enseignement des adultes, et tout son cœur était tourné dans l’admiration de la nature, mais elle ne supportait aucune réflexion de son cocher qui avait été aussi son gardien dans sa toute petite enfance et qui autrefois lui passait tout, alors qu’au fur et à mesure qu’elle grandissait, devenait de plus en plus distant, ferme et sévère avec elle. Il ne m’aime plus, autrefois je l’aimais presque autant que mes parents et encore aujourd’hui je l’aime presque autant, mais s’il continue à me donner des ordres je crois que je ne l’aimerai plus du tout rageât-elle en elle même.



Toute cette réflexion intérieure lui avait pris quelques minutes et ses petites camarades les plus proches s’étaient avancées vers elle en sautillant :


- Bonjour Lucile, viens pressons nous, la Messe va commencer, il faut rejoindre le rang devant le parvis.


Elles pressèrent le pas s’avançant vivement dans l’allée centrale pour rejoindre le porche alors que les fidèles se trouvaient déjà dans l’Eglise et que les enfants du catéchisme se formaient en rang sur le parvis pour y pénétrer, les plus petits devant et les plus âgés derrière en longue file.


Enfin elles y arrivèrent, Lucile fit une petite révérence à Mademoiselle Gentille en lui offrant la gerbe de roses, de la part de sa maman, tout en lui souhaitant bonne Fête. Mademoiselle Gentille alignait les garçons à droite et les filles à gauche des marches de l’Eglise et le capucin pressé de fermer les deux grandes portes de l’Eglise leur faisait signe de se presser. A l’intérieur de l’Eglise, en attendant que Monsieur le Curé et ses enfants de chœur arrivent devant l’hôtel pour commencer l’Office, La Directrice de l’école, Mademoiselle Brochard, une excellente musicienne et chanteuse et qui de plus dirigeait la Chorale de l’Eglise jouait de l’orgue à la galerie supérieure, une musique douce et aérienne, qui semblait venir du ciel transportés par les Anges. Les enfants se placèrent dans les premiers rangs qui leur étaient réservés.


Mademoiselle Gentille impressionnant dans son allure sévère, était placée à droite du premier banc des filles , assise droite comme un « i » dans son tailleur bleu marine à longue jupe , avec son béret basque noir posé bien droit sur ses cheveux gris, coupés tout droit en carré autour de tête et son chapelet en perles violettes transparentes et chaînettes et croix d’argent, pendu à ses mains jointes.


L’orgue se tut, la Messe commençait, le prêtre au pied de l’autel et les enfants de cœur, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche et un autre derrière lui, firent le signe de croix ainsi que toute l’assistance. Tous les enfants s’agenouillèrent regardant attentivement l’Autel puis posèrent leurs mains jointes sur la tablette qui surmontait le banc en récitant intérieurement « Je m’approcherai de l’autel de Dieu, du Dieu qui réjouis ma jeunesse », puis ils ouvrirent leur missel pour lire en silence le Psaume 42 qui figurait dans missel, traduite en Français sur la colonne droite en face du texte en latin de la colonne gauche, puis le Prête dit le confiteor en latin et toute l’assistance répondit à voix haute la prière « Je me confesse à Dieu tout puissant …… » Pendant cette prière il fallait à un certain moment dire « C’est ma faute, c’est ma faute, c’est ma très grande faute », et comme leur avait appris Mademoiselle Gentille qui les surveillait du coin de l’œil, en se retournant de temps en temps, aucun d’entre eux ne manqua, en prononçant ces mots, de poser la main droite sur leur cœur par trois fois avec un vague sentiment de culpabilité ; à la fin de cette prière le Prêtre se tourna vers l’assistance les bras étendu et pria pour les fidèles , en déclarant une première fois en latin et une deuxième fois en français « Que Dieu tout puissant vous fasse miséricorde et que vous ayant pardonné vos péchés, il vous conduise à la Vie Eternelle. Ainsi soit-il. »


Lucile qui n’avait pas la conscience tranquille en raison de son attitude orgueilleuse du matin envers Mohammed, tout juste avant la messe, et de la conclusion intérieure qu’elle en avait tirée se senti soudain soulagée. Bon, pensa-t-elle, c’est sur j’ai péché et j’ai été orgueilleuse et j’ai eu de mauvaises pensées, mais je viens de réciter le « Je me confesse » et le Prêtre a demandé à Dieu de nous pardonner nos péchés, donc je suis sure qu’il sera entendu, parce que Monsieur le Curé est aussi grand qu’un Saint et que le Bon Dieu l’aime tant qu’il l’exaucera et que je serai pardonnée. Et pour consolider ses pensées tout en se levant, s’agenouillant, s’asseyant en même temps que ses compagnes pour suivre l’office, elle perdit le cours de la messe pour réciter en elle-même dix « Je vous salue Marie » en lui demandant à la fin de chaque prière « priez pour nous pauvres pêcheurs maintenant et à l’heure de notre mort, ainsi soi-t-il ». Ainsi ce sera fait avant ma confession, pensait-elle, il vaut mieux que je débarrasse de cette punition à l’avance.

Lucile, comme on le voit, ne se gênait pas pour régler ses petits péchés à sa façon et au mieux de ses convenances, mais pendant ce temps la Messe se poursuivait à son rythme et elle s’aperçut qu’elle avait raté l’Introït, l’Epitre et l’Oraison et elle du se pencher vers sa compagne pour retrouver la bonne page du Missel avant l'évangile.


L’assistance à ce moment là se leva et elle fit comme tous les fidèles un petit signe de croix sur son front, ses lèvres et sa poitrine, pendant que le Prêtre prononçait la prière de Purification avant de prêcher l’Evangile. Le prête prêcha pendant un bon quart d’heure, mais Lucile écoutait plus sa voix que les mots et le sens de l’Evangile, elle était un peu remuée par toutes ses prières intérieures et se demandait maintenant si elle devrait en plus se confesser le jeudi prochain pour effacer totalement ses péchés qu’elle grossissait au fur et à mesure que la Messe se déroulait.


Elle en avait de nouveau perdu le fil et contemplait les statues des Saints et des Saintes qui ornaient l’Eglise, sur sa gauche elle arrêta son regard sur la statue de Sainte Thérèse qui tenait des roses rouges sur son cœur en levant ses yeux suppliants au ciel. Ah se dit-elle, Sainte Thérèse effeuillait les roses et envoyait les pétales à Notre Seigneur Jésus Christ et maintenant figée en statue elle ne peut plus le faire de cette terre qu’elle a quittée, au Paradis il y a sûrement des roses et sans doute en offre-t-elle au Bon Dieu, au petit Jésus et à la Sainte Vierge.


La Chorale entonnait le « Tantum Ergum » accompagné à l’orgue par Mademoiselle Brochard. Les sons harmonieux la ramenèrent à l’Office de la messe et elle chanta le dernier couplet avec tous les fidèles. Elle se souvenait que c’était l’un des chants religieux préféré de sa grand-mère Agathe et regretta qu’elle fût loin d’elle. Puis vint le temps de la quête, elle fouilla dans son petit sac et avec un joli sourire déposa une piécette dorée dans la corbeille en estimant que la valeur de ce que l’on donne ne suffit pas et qu’il faut donner selon ses moyens avec bon cœur et sans regret, c’est le geste qui compte pour ceux qui comme moi n’ont que leur argent de poche regrettant de n’en pouvoir donner plus.


(à suivre )



ROSE de LUMIERE - 1er Chapitre -

- 1er chapitre -

Auteur : Lucienne Magalie PONS (écrit en année 2007)

Lucile ouvre les yeux. Un premier rayon d’aurore traverse les persiennes et fait briller les meubles de chêne, les frises du plafond se précisent, la chambre sort de la pénombre le matin s’avance, le jour va prendre place et ce sera l’heure du lever. Aujourd’hui premier juin jour de l’anniversaire de ses 7 ans, il n’y a pas école en ce beau dimanche et Lucile se lèvera vers sept heures, un peu plus tard que les autres jours, pour se préparer à assister à la messe de 10 heures du village voisin distant de sept kilomètres. Nous sommes dans une grande propriété en Algérie en 1942. Lucile encore à demi endormie tend l’oreille pour capter les sons qui lui parviennent atténués de l’extérieur et de la grande salle, située tout au fond de la grande maison tout au bout d’un long couloir, elle perçoit les voix de ses parents qui se concertent pour organiser la journée. Ses frères l’aîné et le benjamin, sont certainement déjà sortis pour s’amuser dans la grande cour au-delà du jardin qui longe la maison. Des oiseaux gazouillent derrière ses persiennes et de temps en temps elle entend aboyer Mirka la chienne de chasse, miauler Thérésina la chatte blanche aux taches noires et fauves qui se promène sur les toits et de plus loin arrivent les cris des volailles de la basse cour.


Tous ces bruits familiers du matin accompagnent son éveil et retiennent Lucile encore un peu dans son lit, avant d’aller faire sa toilette et de se présenter dans la grande salle pour le petit déjeuner. Ensuite elle partira à la messe du village. Ce sera une demi-heure de calèche, où installée sur le siège avant avec le cocher elle pourra admirer le paysage qu’elle connait depuis toujours.


Pendant ce trajet, Lucile au fil des saisons découvre avec émerveillement au printemps les tendres pousses vertes des arbres renaissants, les fleurs et les fruits en bourgeons, en été les floraisons de fleurs sauvages dans les près et dans les blonds champs de blés d’or prêts à la moisson , en automne les vignes chargées de raisins blancs et rouges que les vendangeurs cueillent et chargent dans des corbeilles de roseaux tressés, des deux côtés de la route, les grands arbres aux feuilles mordorées de vert, de bronze et d’orange qui bientôt aux premiers vents se détacheront des branches et tourbillonneront pour atterrir sur le sol brun en le décorant d’un tapis aux couleurs éphémères, en hiver les grands arbres dénudés tendant vers le ciel gris leurs branches givrées de gel étincelant comme du diamant sous les rayons du soleil.

Après avoir écouté un moment sa symphonie pastorale, Lucile toujours dans son lit, se remémore son rêve de la nuit, une belle dame en longue robe blanche parsemée de fleurs des champs, aux longs cheveux blond vénitien s’était avancée vers elle en songe, tenant sur son cœur une rose rouge, semblant surgir d’un nuage blanc parsemé de paillettes dorées et s’adressant à elle lui avait dit :


- Je suis Flora, Déesse du printemps, je préside à la naissance des fleurs en toutes saisons. Ce matin quand tu seras de retour de la Messe vers Midi , va dans le grand jardin de fleurs où se trouve le plus haut des rosiers, celui que ton père a planté le jour de ta naissance, près du grand cyprès et du petit cours d’eau vive, une rose viendra te délivrer un message. Mais surtout ne confies ton rêve à personne sinon la rose restera muette.

Après avoir dit ces mots la Déesse disparut dans un nuage lumineux et Lucile se souvint qu’à la fin de son rêve elle s’était alors réveillée l’espace d’une seconde puis rendormie d’un trait jusqu’au matin.


Lucile n’était pas surprise de ce rêve, comme tous les enfants elle faisait souvent des rêves insolites, tantôt merveilleux et d’autres fois, terrifiants. Ce matin elle jugea que c’était un rêve insolite et merveilleux. Intriguée et pressée de connaître le Secret de la Rose, Lucile se leva prestement, fit sa toilette puis se présenta dans la grande salle où sa maman une belle femme au visage gracieux, rempli de douceur avec de jolis yeux noisettes, préparait le petit déjeuner :


- Bonjour maman ! regardes j’ai fait ma toilette, j’ai mis ma belle robe de mousseline blanche, ma ceinture et mes babies vernis , je suis pressée d’aller à la messe et de revenir, je dois à mon retour me promener dans le jardin des fleurs est-ce que la calèche est prête ? Et puis c’est mon anniversaire aujourd’hui et je suis « toute contente » !


- Mais oui Lucile , répondit sa mère en se pendant vers elle pour déposer un léger baiser matinal sur son front, tout en caressant ses joues, Bon anniversaire ma chérie, tu as aujourd’hui sept ans c’est l’âge de raison et j’ai remarqué ces temps derniers que tu devenais de plus en plus raisonnable, nous fêterons ton anniversaire cet après midi ; j’ai préparé des gâteaux et des boissons, nous avons invités nos amis des fermes voisines qui seront là près de nous avec leurs enfants. Ce sera une bien agréable journée Mais tu dois d’abord prendre ton petit déjeuner et ensuite j’arrangerai tes cheveux. Nous n’avons pas de temps à perdre ! Tes joues sont bien fraîches, as-tu bien dormi ma fille ?


- Oh ! Oui maman comme un ange !


- As-tu fait de beaux rêves, Lucile ?


Lucile hésita un instant, la déesse dans on rêve lui avait demandé le silence, elle n’aimait pas mentir, comment détourner la question ?


- Oui un peu sans doute …. répondit-elle simplement.


- Bien, c’est parfait mon petit ange, répondit la maman tout en lui servant son petit déjeuner, prends ta tasse de lait et croque ta tartine sans tarder, je dois brosser tes cheveux et faire tes tresses, veux-tu des rubans roses ou bleus pour les nouer ?


- Je voudrais les rubans bleu ciel assortis à ma ceinture de satin bleu, tu sais ceux que grand-mère m’a envoyés pour mon anniversaire, ils sont là dans mon sac à main.


Lucile désigna le petit sac à main en satin bleu ciel qu’elle portait en bandoulière, l’ouvrit délicatement et en sortit les rubans de satin.

- Attends ma fille, avant de te peigner je vais aller prendre une serviette de toilette pour protéger ta robe, en attendant va t’asseoir sur le tabouret près de la fenêtre.


En attendant le retour de sa mère, l’espace de trois minutes, Lucile jeta un regard sur le jardin et pensa que les rosiers seraient bientôt couverts de roses.

Pendant que sa mère brossait et tressait ses cheveux, Lucile pensait qu’elle pourrait dès le retour de la messe aller dans le jardin comme le lui avait demandé la Déesse de son rêve et recevoir le message de la rose.


- Ne bouges pas Lucile, je vais attacher tes tresses, … voila, c’est fait Bon recules toi un peu, place toi en face de moi que je vois si tout va bien ensemble … Attends je vais tirer un peu le bas de ta jupe pour ajuster ta robe, et puis il faut un peu desserrer ta ceinture, tout doit rester souple pour bien tomber, voila …c’est bien …


A ce moment-là le Père de Lucile entra dans la pièce ; c’était un homme blond de haute taille, mince, élancé avec un beau visage clair aux pommettes rosées, souriant et des yeux bleus brillants couleur myosotis, il arrivait d’une promenade dans la ferme et ôta son écharpe que sa femme déposa soigneusement sur le porte -manteau.


- Bonjour Manou (diminutif familial de Marie Louise) dit-il à sa femme, puis s’adressant à Lucile, Bonjour ma fille, bon anniversaire ma petite douce, comme tu deviens grande, te voilà prête pour aller à la Messe. Tu es toute belle avec tes rubans et tes petits bracelets … Viens m’embrasser ma fille ……

- Oui papa, ce sont les rubans et les petits bracelets d’argent que ma grand-mère m’a offerts, regarde papa sur les bracelets il y a en relief une liane de lierre, et tu sais papa ma grand-mère m’appris le symbole du lierre « Je meurs où je m’attache », répondit Lucille en s’approchant de son père pour l’embrasser.


- Tu sais vers midi nous fêterons ton anniversaire et il y aura beaucoup d’invités avec leurs enfants, Tes frères sont partis ce matin à la petite messe avec nos amis de la ferme voisine, ils resteront chez eux jusqu’à midi et reviendront avec eux dans l’après midi pour fêter l’évènement.


- Je te sers un café Laurent ? , proposa la maman

- Oui, Merci, je vais m’installer à la petite table près de la fenêtre. Le Soleil s’est levé de très bon matin, presque au chant du coq et je suis sorti presque aussitôt, et bien crois-moi l’air était déjà tiède !


Puis il s’installa à la petite table ronde près de la baie ouverte.


Lucile s’approcha joyeuse et déposa encore un petit bisou sur la joue dorée de son père, il fleurait bon la lavande mais sa joue « piquait » un peu car il ne s’était pas encore rasé.


- Papa « tu piques » il faut aller te raser !


- Je vais prendre un café et ensuite j’irai me faire beau ! Allez, Lucile, il est temps que tu partes, ne t’attardes pas trop, pour ne pas arriver en retard à la Messe, salues pour moi ta Maîtresse de catéchisme et Monsieur le Curé et surtout soies bien sage avec le cocher pendant le voyage, ne lui parles pas trop pour le laisser guider la voiture tranquillement.


La maman revenait de la cuisine tenant d’une main une cafetière rouge à pois blancs, en métal émaillé, qui tenait le café bien au chaud et de l’autre main une petite tasse…


- Lucille va chercher une petite cuillère et le sucrier pour ton père, veux-tu ?


Lucille s’exécuta en sautillant ….comme à son habitude et déposant le sucrier et la petite cuillère elle s’amusa à dire en s’adressant à son père : Voici Monsieur votre sucre, votre cuillère, êtes vous bien servi Monsieur ? Avez-vous besoin d’autre chose …


- Non Mademoiselle, je vous remercie, j’ai tout ce qu’il me faut


Après avoir servi son mari, Marie Louise jeta un dernier coup d’œil sur la toilette de Lucile.


- Viens Lucile, fais un tour devant moi que je puisse voir si tu est bien partout, bien , parfait, . Lucile, essaies de ne pas froisser ta robe quand tu t’assoiras sur le banc de la calèche et ensuite sur le banc de l’Eglise, tu sais comme il faut faire, tu relèveras derrière, discrètement, pas trop haut, le bas de ta jupe pour ne pas t’asseoir dessus,….


- Bon , maintenant, continua la maman, en prenant Luciole par la main, prend cette gerbe de roses blanches et roses, tu l’offrira à ta Maitresse de catéchisme, Mademoiselle Gentille ; j’ai préparé cette gerbe tout spécialement pour elle , avec ce feuillage léger c’est frais et délicat, tout à fait ce qu’il faut à son caractère discret , tu la lui donnera de ma part avec mes compliments en faisant une petite révérence et en lui souhaitant une bonne fête , nous sommes aujourd’hui le premier Juin, c’est ton anniversaire mais c’est aussi le jour de sa fête puisque son prénom est Fortunée, n’oublie pas de demander au cocher de porter directement chez Monsieur le Curé cette corbeille de fruits et légumes que je vais porter jusqu’à la voiture , sa gouvernante est prévenue, nous lui avons déjà envoyé hier un gigot d’agneau et des bouteilles de vin, ainsi ils auront un bon repas sur la table en ce Dimanche, et surtout n’oublies pas de prier à la Messe pour remercier le Bon Dieu et la Sainte Vierge de tous leurs bienfaits. En sortant de la messe, tu iras choisir des friandises à la Boulangerie Juan sur la place. Soies polie avec tout le monde, et n’engage pas de toi-même une conversation avec des adultes, mais si on s’adresse à toi, réponds gentiment, je compte sur toi pour te montrer discrète et bien élevée. Promets-moi de ne rien oublier de tout ce que tu dois faire, Lucile, je compte sur toi !


- Oui maman, répondit fermement Lucile, je te le promets !


- Et aussi tiens toi bien droite et la tête bien haute, ce n’est pas élégant de marcher courbée et d’avancer la tête basse et en avant, ce n’est pas ton cas bien sur, mais tu dois dès à présent apprendre à te tenir


- Oui, maman, répondit en souriant Lucile, je marcherai en me tenant bien droite, mais quand je serai vieille, vieille, très vieille, je marcherai peut-être toute courbée comme la « vieille, pauvre ratatinée » Aïcha qui porte en plus sur son dos des fagots de serments de vigne pour faire du feu dans son four arabe.


- Aïcha n’est pas « vielle, pauvre, ratatinée », comme tu dis, surveilles ton langage, ça ne se dit pas, elle est âgée et usée certes, mais elle est très heureuse de pouvoir s’activer pour aider sa jeune voisine Ouardia ,laquelle avec tous ses jeunes enfants n’arrive pas à faire « tout » toute seule.


Lucile confuse de la petite leçon qu’elle venait de recevoir, se haussa sur la pointe des pieds, et présenta ses joues roses piquetées de minuscules taches rousseur à sa mère qui y déposa deux petits baisers légers. C’était toujours ainsi que se terminait leur conversation, même assortie de quelques remontrances.


- Allez ! C’est le moment de partir, ma fille, le cocher t’attend ! Je vais te conduire jusqu’à la voiture. Dis au revoir à ton Père et ensuite viens vite, suis moi.


Dans la cour devant les bâtiments extérieurs, drapé dans son burnous de laine blanche et coiffé de son Fez rouge à gland de soie noire, Mohammed Benjelloul un kabyle blond aux yeux bleus attendait très droit et impassible tout près de la calèche attelée du vieux cheval Bibi. Dès qu’il aperçut Lucile et sa maman venir vers lui Mohamed s’avança vers elles d’un pas pressé.


Ils échangèrent leur Bonjour en souriant, puis Mohammed les déchargea de la gerbe de fleurs et du panier de fruits et les plaça délicatement dans le coffre à l’arrière de la voiture.


Ce faisant, les pans de son burnous flottaient légèrement autour de lui et laissait entrevoir sa légère gandoura d’été blanche en toile fine d’où dépassaient les jambes de son sarouel gris clair, resserrées au-dessus de ses chevilles sur des bas blancs soigneusement tirés. Il portait pour ce Dimanche ses escarpins en cuir noir à talons plats, qui contrastaient avec la blancheur de ses vêtements, et ses pas agiles rappelaient à Lucile ceux d’une danseuse en ballerine.


Puis il se pencha vers la petite fille la cueillit comme une plume et avant même qu’elle ne réalisa qu’il l’avait soulevé dans un envol de mousseline elle se retrouva assise sur le siège gauche avant de la calèche.


Mohammed, tu la surveilleras avant la messe et après fais attention qu’elle ne reste trop longtemps après la messe avec ses camarades, par ci et par là, et en tout ne lui laisse pas plus de dix minutes pour se promener et pour acheter ses friandises à la boulangerie Juan. Aujourd’hui c’est son anniversaire, nous avons des invités et il faudrait qu’elle soit de retour vers Midi au plus tard. Je te fais confiance Mohammed !


(La boulangerie Juan qui se trouvait en face de la place du Village à quelques 50 mètres de l’Eglise, de l’autre côté de la grande rue centrale, vendait aussi des gâteaux et des bonbons, et était très fréquentée par les enfants le Dimanche à la sortie de la Messe et les jours de semaine à la sortie de l’école.)


Puis elle se retourna vers sa fille :


- Et toi Lucile n’oblige pas Mohammed à te rechercher autour de l’Eglise, ne l’obliges pas à être sévère, soies obéissante et respectueuse avec lui.


- Tenez Mohammed, voici la liste des commissions et l’argent nécessaire.


Puis Marie Louise s’éloigna pour traverser la cour en faisant un signe d’au revoir tout en se retournant quelques fois. Quand elle eut dépassé toute la largeur de la cour pour rejoindre l’entrée de la maison, Mohammed qui jusqu’à là s’était tenu droit comme une sentinelle en tenant le licol du Cheval, contourna la calèche , s’assura que le coffre était bien fermé, puis cérémonieux prenant soin de ne pas froisser les plis de son burnous de laine, il monta prestement sur le siège avant , à sa place de cocher , à droite de Lucile, qui s’occupait à relever discrètement derrière les plis de sa jupe avant de s’asseoir et de s’ajuster au siège pour se tenir bien droite.


C’était le vieux cheval Bibi attelé à la voiture et guidé par Mohamed, qui assurait le trajet, aller et retour deux fois par jour en semaine et le dimanche un aller et retour le matin, de la ferme au village et du village à la ferme, depuis que les restrictions d’essence de la deuxième guerre mondiale ne permettaient plus de prendre l’automobile.


Le cheval Bibi avait été choisi pour son comportement calme et pacifique et son trot régulier, mais pour Mohammed, il fallait tout de même marquer le rituel du départ qu’il avait institué :


- Tu es prête « Loukhia » ? demanda Mohammed en s’adressant à Lucile, et il ajouta, tiens le montant gauche très fort je vais faire partir la voiture


Puis il fit claquer énergiquement en l’air le fouet, le reposa dans son étui à sa droite et commanda d’une voix forte en tirant sur les guides :


- Allez hue ! En avant, Bibi !


Un seul commandement de départ suffisait au vieux cheval Bibi, en dépit du rituel de départ, il démarra d’un trot régulier et s’engagea au-delà de la grande cour dans l’allée recouverte de granit rose damée que le père de Lucile avait autrefois fait aménager et qu’il avait baptisée « La voie Romaine », bordée de caroubiers, longue de 400 mètres environ, pour rejoindre la route Nationale qui conduisait au village blotti à sept kilomètres de là au pied d’une colline verdoyante, creusée à mi-hauteur de la cicatrice d’une carrière de chaux. .


Lucile, attendait impatiemment que la voiture arrive au bout de cette allée et s’engage à droite sur la route nationale bien lisse et plus souple où les roues tourneraient plus facilement et où le cheval Bibi peinerait mois.


Pensive, elle pencha la tête à gauche vers son épaule et ne regardant plus l’allée, elle se mit à réfléchir à une question qui la préoccupait depuis sa plus jeune enfance. La différence naturelle qui existait entre les animaux et les humains lui paraissait injuste et cruelle. Elle était consciente des fatigues que les animaux enduraient pour servir les humains et cela froissait son cœur d’enfant. Et puis elle n’osait pas imaginer les souffrances cruelles qu’ils enduraient quand on devait les tuer pour les manger, cela lui faisait trop peur. Alors elle se limitait à plaindre leur fatigue.


« Pauvre Bibi pensait-elle , je te plains beaucoup et je suis confuse de te faire endurer cette fatigue, cette peine, j’espère que tu ne souffres pas trop, je voudrais tant pouvoir t’aider en me faisant plus légère, mais c’est impossible, que faire, que faire ? Mon père m’a appris que quand la guerre serait finit, l’essence ne serait plus rationnée et que nous te mettrons en retraite, mon vieux Bibi, alors tu passeras toutes tes journées dans les prés de la ferme et le soir dans l’écurie bien propre sur de la bonne paille. Alors voilà Bibi ce que je vais faire, à la Messe je prierai en demandant au Seigneur que la guerre se termine très vite pour le bien de tous les soldats et de tout le monde entier et pour toi aussi bien sûr mon bon vieux cheval Bibi, j’espère qu’il entendra ma prière et que tu seras bientôt libéré de tes corvées comme les prisonniers de guerre. »


Cependant que Lucile intérieurement dialoguait en sens unique avec Bibi, ce dernier parfaitement guidé par Mohammed était arrivé au bout de l’allée, la calèche venait de s’engager sur la route nationale et filait plus légère, les sabots de Bibi frappaient régulièrement l’asphalte et Lucile le ressentit aussitôt. Ah ! c’est mieux pensa-t-elle, la voiture glisse presque toute seule !



Elle abandonna ses pensées et tournant la tête à droite elle jeta un coup d’œil sur Mohammed. D’après son visage elle savait si elle pouvait ou non engager une conversation avec lui et s’il valait mieux ne rien dire. En effet Mohammed avait deux visages celui des bons jours et celui des mauvais jours.


Il lui sembla qu’il avait son visage des bons jours puisque ses sourcils n’étaient pas froncés sur son front.


Lucile savait que suivant les règles de politesse que lui inculquaient ses parents, les enfants ne doivent jamais adresser la parole à un adulte en premier, et cette règle était à appliquer avec tous les adultes Or bien qu’il se trouvait au service de ses Parents, Mohammed était adulte et Lucile se mit à réfléchir au moyen de la faire parler le premier. Une fois la conversation engagée, elle savait qu’elle saurait la maintenir jusqu’au village.


Tout en réfléchissant Lucile voyait défiler de magnifiques plantations qui s’étendaient à perte de vue à droite et à gauche de la route nationale, des champs de blé encore verts, des vignes aux feuilles tendres, de grands espaces couverts d’arbres fruitiers de toutes sortes, orangers, amandiers, citronniers, dont certains en fleurs livraient leur parfum, des pâturages où s’ébattaient ou paissaient des animaux, vaches, veaux, taureaux, brebis, agneaux et moutons , des enclos ou caracolaient des chevaux et poulains, un vrai panorama


Sur le parcours , on apercevait aussi les maisons des fermes, distantes de la route d’environ 400 mètres à 800 mètres , entourées de jardins de fleurs, avec leurs allée d’oliviers de cyprès ou de palmiers qui arrivaient jusqu’à la route nationale elle-même bordée d’eucalyptus et de grands arbres, devant les lignes électriques. Des oiseaux voletaient d’un arbre à l’autre dans un ciel sans nuage et sur les fils des lignes électrique se tenaient des hirondelles, dont Lucie se demandaient pourquoi elle ne tombaient pas électrocutées d’un coup( mystère que l’intéressé qui a aujourd’hui 75 ans n’a toujours pas eu le temps de percer) et lorsqu’elle regardait en face d’elle, elle voyait la colline qui se rapprochait au fur et à mesure que la voiture avançait, couronnée tout en haut d’un Ciel d’azur et d’un Soleil éclatant, tout ce spectacle de la nature ravissait son âme. A un tel point qu’à certains moments elle en ressentait comme un sentiment d’angoisse indéfinissable devant tant de beauté.


Mais tout au fond d’elle-même l’envie de faire partager son émerveillement à Mohammed la tenaillait et elle cherchait le moyen de le faire parler le premier. Elle décida de tenter une petite stratégie et prenant son mouchoir dans son petit sac elle se mit à se moucher et à toussoter en répétant ses toussotements de plus en plus souvent.


Mohammed qui trônait sur le siège à côté du fouet dont il ne servait jamais, à part pour le démarrage, occupé à guider le cheval et à surveiller la route, jeta un regard vers elle et s’inquiéta :


- Tu tousses ? Tu as froid ? Tu veux que j’arrête la voiture et passer à l’arrière sous la capote de la calèche, tu auras moins froid ?


- Non, non, répondit-elle, merci, merci je n’ai pas froid, mais tu vois ce sont tous ces parfums de printemps, ca m’irrite un peu les narines, la gorge, mais ce n’est pas grave et d’ici, de l’avant, je vois tout, c’est merveilleux, le soleil, le ciel, les fermes, les arbres, surtout les fleurs, les oiseaux, et les animaux.


Enfin la conversation était engagée et elle entendait questionner Mohammed sur les fleurs, son sujet du jour .

- Mohammed, tu aimes les fleurs ?


- Euh, oui un peu ….. répondit laconique Mohammed


- Ta mère Aïcha aime les fleurs, elle a un Églantier dans sa cour qui donne presque en toutes saisons des roses chiffonnées, d’un rose tendre délicat, que mon père appelle « Les demoiselles Églantines d’Aïcha », mais dans le jardin de mon père les Roses sont des « Dames », il y en a même qui sont nommées d’un nom de dame , Madame ceci, Madame cela, du nom de nos amies, c’est mon père qui s’amuse à les nommer ainsi, mais en France dans les grands jardins botaniques, d’après mon dictionnaire, les roses portent des noms de dames célèbres, si ta maman fait pousser son Églantier c’est qu’elle aime les fleurs , elle me l’a dit d’ailleurs et si elle aime les fleurs tu doit aussi les aimer, n’est-ce pas ?


- Euh oui ! répondit distraitement Mohammed …


La conversation tournait presque au monologue, mais cela arrangeait Lucile qui pouvait enfin s’étendre à plaisir sur son sujet du jour.


- Tu sais, Mohammed, les fleurs ont un langage et je vais te le raconter, si tu veux ?


- Euh ! Oui ……. répondit encore Mohammed qui s’appliquait à bien conduire la voiture, je veux bien, ca ne me dérange pas.


Il ne restait plus que trois kilomètres à parcourir sur les sept pour arriver au village et il pensa que cela ne le gênerait pas trop pour conduire l’équipage à bon port.


- Par exemple, reprit Lucile commençons par le Myosotis, je sais un poème de Théophile Gauthier, c’est ma grand-mère Agathe qui me l’a appris et ce poème dit : … « Les Myosotis aux fleurs bleues, me disent « Ne m’oubliez pas »…. Et tu sais pourquoi ? Parce que selon une légende ancienne il y a très longtemps, il paraît qu’au Moyen Age en Allemagne un Chevalier et sa Dame se promenaient au bord d’une rivière tumultueuse, presque un fleuve, et le Chevalier, voulant lui offrir un myosotis qui se trouvait au bord des eaux , s’est penché et a été emporté par les flots, mais avant il a eu le temps de jeter la petite fleur bleue au cœur rouge à sa Dame en lui criant d’une voix suppliante : « Ne m’oubliez pas ! ». C’est beau et c’est triste, n’est-ce pas Mohammed ?


- Euh oui !, grommela Mohammed, qui au fond n’était pas du tout sentimental.


Il n’était pas marié à son âge, pupille de la nation il vivait soigné comme un coq en pâte chez sa mère Aïcha, veuve de guerre depuis 1915, fils unique le mariage ne l’intéressait pas et Aïcha avait arrêté depuis longtemps de lui faire rechercher une épouse par ses oncles. Son célibat était rentré dans les mœurs et depuis longtemps personne ne s’en étonnait plus. Aïcha et son fils Mohamed possédait une maison entourée d’un terrain dans un douar près de la ferme et en fait s’il travaillait chez les parents de Lucile, c’était plutôt pour compléter un peu ses revenus et occuper une partie de son temps. Il avait commencé d’abord pour promener Lucile et ses frères et les surveiller dans leurs jeux, ensuite pour les conduire et rechercher à l ‘école, faire les courses au village, et peu à peu il était devenu le bras droit et l’homme de confiance du père de Lucile qu’il secondait activement dans la ferme et qu’il accompagnait dans ses déplacements à Alger et au marché de l ‘Harrach.


- Et puis le lierre par exemple, continuait Lucile sur sa lancée, c’est une plante grimpante avec des sortes de petits crampons qui s’attache partout, mais lui aussi a un langage il dit « Je meurs ou je m’attache » et ma grand-mère Agathe m’a tout expliqué à son sujet. Elle m’a dit que les enfants comme une petite pousse de lierre doivent s’accrocher de toute leur force à leurs parents pour bien grandir, comme le lierre grimpe aux arbres ou aux murs pour ne pas rester à terre et périr. Er ensuite elle m’a offert deux bracelets d’argent sur lesquels étaient gravés des tiges de lierre avec leurs feuilles. Regardes, regardes… tu vois …. ?


Mohammed soudain consentit à jeter un regard. Il connaissait la Grand-mère et lui était attaché depuis le berceau et comme elle était une dame qui n’avait jamais manqué de lui porter des cadeaux lorsqu’il était enfant, dans ses visites à la ferme, et parce qu’elle parlait de tout et sur tout avec un grand savoir et une grande connaissance de la région et de ses habitants anciens et présents, elle l’intéressait beaucoup et il la respectait autant qu’il respectait sa mère.

- Ta grand-mère à raison, elle parle toujours bien, elle sait ce qu’elle dit, c’est comme une grande scraïa !(maîtresse d’école)


- Oh oui ! Et elle connait bien des choses, des contes, des poèmes, et elle sait broder et justement quand elle brode assise sur le banc du jardin je m’assois près d’elle et elle me parle, par exemple, sur les roses et les fleurs, elle sait tout ! Non seulement pour les cultiver mais encore sur leurs symboles et leurs langages ; elle m’apprend aussi des poèmes où l’on parle de fleurs. Par exemple elle me dit de la Rose blanche que c’est un signe de pure amitié et de la Rose Rouge un symbole d’amour pour les grands bien sur, du Bleuet que c’est un symbole de pureté et de délicatesse, et du Lys un symbole royal et d’amour pur , mais moi tu vois Mohammed j’aime toutes les fleurs sans exception , mais si je devais choisir une fleur pour son symbole je choisirai l’Iris dont ma grand-mère m’a dit qu’il annonçait toujours d’heureuses nouvelles. C’est un Messager comme le Dieu Mercure des anciens grecs, j’ai vu ça aussi dans mon dictionnaire.


Cette fois Mohammed ne répondit pas, on arrivait près du village niché sur le flanc de la colline, la route montait en cote douce et il était occupé à ralentir l’allure du cheval afin que celui-ci ne se fatigue pas trop.


Lucile voyant que le cocher ne l’écoutait plus, se mit penser à Paul, un petit garçon blond aux yeux bleus vifs, beau et sage, qu’elle espérait retrouver avec ses camarades , filles et garçons du catéchisme, sur le parvis de l’Eglise, où tous avaient l’habitude de se réunir un petit moment en attendant l’heure de la Messe. Paul lui plaisait, c’était son camarade garçon préféré, et en pensant à lui elle mit à réciter en elle-même en effeuillant symboliquement une marguerite imaginaire « je t’aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout » et avec la pureté de l’enfance elle choisit secrètement et pour elle seule parmi cette gamme de sentiments « je t’aime beaucoup », un « beaucoup » qui lui semblait bien suffisant et moins dangereux que « passionnément » et « à la folie » dont elle ne comprenait pas très bien le sens et la démesure, en dépit de quelques vérifications qu’elle avait pu faire ces derniers temps , à plusieurs reprises, toujours dans son dictionnaire..


Pendant ce temps la voiture arrivait à l’entrée du village. Mohammed serra les guides :


- Oh ! Oh Là ! Oh là ! Bibi, Oh Là …….ordonna-t-il d’un ton ferme et Bibi docile après quelques petits trots se mit à l’arrêt sur le côté droit de la route.


Mohammed fixa les guides en les enroulant sur une sorte de crochet qui se trouvait à l’avant droit , puis sautant sur la route il fit quelques pas vers l’arrière de la calèche d’où il sortit une boîte en bois contenant une brosse, un chiffon et quelques grelots de bronze. Avec son attirail il se dirigea vers Bibi qu’il commença à éponger vigoureusement pour lui enlever toute sa sueur ; une fois Bibi bien séché, il prit la brosse et peignit soigneusement ses crins, sa crinière et sa queue, ensuite il ajusta le mors dans la mâchoire du cheval, vérifia les harnais d’attelage et enfin accrocha quelques grelots à son collier. Puis il rangeât tout son attirail dans la boîte en bois qu’il replaça dans le coffre. Enfin il fit le tour de la calèche en examinant soigneusement les roues et les essieux : tout était propre et bien en place et satisfait il reprit sa place, ajusta soigneusement son fez et les plis de son burnous, jeta un œil vers Lucile pour voir si elle se tenait bien droite, et reprenant les guides il ordonna cette fois :


- Hue Bibi, allez Hue ! … en avant, Goudem, Goudem (devant, devant), tout droit, tout droit !…….


Requinqué par sa petite pause Bibi reprit sont trot vivement, redressant lui aussi sa tête en faisant sonner ses grelots. Au fur et à mesure qu’ils avançaient pour rejoindre la place de l’Eglise qui se trouvait à environ 800 mètres, Mohamed se tenait de plus en plus droit et cérémonieux et Lucile elle-même l’imitait regardant droit devant elle sans plus parler.


Lucile était habituée à ce rituel qui était recommandé par son père au cocher et que ce dernier n’oubliait jamais d’accomplir à la lettre. Il convenait d’entrer dans la rue principale du Village avec un équipage frais et propre, pour soutenir une excellente réputation solidement établie de « bonne tenue » qui ne devait pas s’exposer à d’éventuelles critiques. Tout comptait dans la réputation d’une famille de nos anciennes colonies ; l’éducation, la bonne tenue de la famille, de ses ouvriers, des cultures, du cheptel, de la ferme en général et il convenait en entrant dans le village de montrer la propreté et la fraîcheur des équipages.


Alors que défilaient les bâtiments, immeubles, villas et commerce du village, la calèche , dépassant sur la droite la Mairie, et traversant la grande rue, s’engagea vers l’entrée de la Place de l’Eglise, entourée et plantée de grands arbres, tout juste au pied de l’allée centrale qui conduisait directement au parvis de l’Eglise.


.Mohammed ralentit l’équipage en tirant légèrement sur les guides, mais le vieux cheval qui connaissait les lieux et les habitudes était presque déjà arrêté


- Oh là ! Oh là Bibi, Oh là ! … bon c’est bien … Repos ! Repos ! ….

.

La voiture s’était arrêtée sur le coté de la place juste à gauche à l’entrée de l’Allée principale.


Fin du 1er Chapitre ( suite : voir 2me chapitre article ci-dessus)