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vendredi 15 février 2008

LE REVE D'ADRIAN



Auteur : Lucienne Magalie Pons

Tatiana la grand-mère d’Adrian se trouvait à PARIS chez ses enfants pour deux jours, et comme tous les ans ils devaient tous repartir ensemble dès le premier jour des vacances de Pâques pour passer les fêtes dans leur propriété près de Limoges. En arrivant Tatiana sitôt ouvertes ses valises et rangé leur contenu, avait soigneusement placé sur la table de chevet d’Adrian un œuf de Fabergé qu’elle avait emporté de sa Russie natale en souvenir de la défunte et ancienne Tsarine Alexandra Feodorovna.

- « Admire ce bel objet de porcelaine fine délicatement cloisonné d’or, dit elle à Adrian, vois cette petite serrure doré et cette minuscule clé d’or, cet œuf contient un secret, mais tu ne le verras que le jour de Pâques, si tu est bien sage d’ici-là, et surtout fais bien attention de ne pas le faire tomber, il se briserait et je ne pourrai plus jamais alors te dévoiler son contenu »

Et pendant que la maman d’Adrian s’occupait avec Nina une jeune fille au pair du repas du soir, elle lui raconta l’histoire de ce bibelot précieux auquel elle tenait comme à ses yeux et peut-être encore plus, offert dans les temps anciens par la tsarine elle-même à sa famille, du temps où sa mère était admise à la Cour de Russie en sa qualité de Dame d’honneur, avant la révolution bolchevique.

Arrivée en France à l’âge de 10 ans avec ses parents et frères et sœurs en 1917, fuyant les crimes et les assassinats des révolutionnaires, Tatiana maintenant approchait de ses 70 ans et Nicolas était le seul fils du mariage tardif de Constantin Balachov dernier enfant de Tatiana, son «favori ». Comme tous les exilés Tatiana après une longue période d’adaptation à la France, retrouvait en elle avec une grande acuité, tous les souvenirs de son enfance, de sa famille, de leurs amis et de son pays, maintes fois évoqués entre eux, et tout naturellement le petit Adrian se trouvait son confident et auditeur préféré pour partager ce qu’elle appelait « notre vie d’autrefois en Russie Blanche ».

« Tu sais Adrian, autrefois, quand nous vivions en Russie Blanche, nous avions une grande propriété, bien plus grande que celle de Limoges, nos terres s’étendaient à perte de vue couvertes de moissons blondes en été, et nous avions aussi une grande maison en ville, un vrai palais à Moscou, et ma mère la princesse Natacha était reçue à la Cour»

Et elle poursuivait en commentant les lumières des grands salons, les grandes glaces, les toilettes des dames, les tenues des messieurs, les concerts de musique « classique », les bals, la polka, la valse, les cortèges des souverains, les carrosses ….. C’est là que ton arrière grand-père a rencontré ma mère à la Cour lors d’un grand bal. Il l’avait invité à danser avec la permission de ses parents, une valse ! Deux ans après ils se sont mariés … …. Et elle racontait le « coup de foudre », le mariage somptueux, le cortège, la robe blanche de la mariée toute en dentelle à la main sur fond de soie, son diadème de perles fines, son voile immense, sa longue traîne soutenue par douze demoiselles d’honneur en robe longue, leurs tresses en couronne entrelacées de rubans et couronnées de fleurs, elle lui décrivait aussi les pièces du trousseau des jeunes époux, leur maison, leur mobilier, et lui transmettait tout ce qu’elle savait encore de cet évènement qu’elle tenait de sa propre grand-mère.

Adrian écoutait sagement, il n’avait que six ans, mais charmé par la douce voix de sa grand-mère il lui semblait entendre le récit d’un conte de fées, tout ce qu’elle lui racontait lui semblait beau, lumineux, ensoleillé, un monde de rêve dans lequel il voyageait avec plaisir ! En l’écoutant il sentait les parfums, entendait les bruissements des dentelles, les pas cadencés des danses légères.

Elle lui dépeignait aussi Moscou, Saint Pétersbourg villes radieuses en été et l’hiver étincelant de neige glacée. Tout ce qu’elle disait provenait du récit des membres de sa famille, grands-parents et parents et de ses recherches dans les livres. En racontant elle oubliait le présent et se retrouvait la fille de la Princesse Natacha et du Prince Arkharov. Les études qu’elles avaient faites en France et ensuite son métier de géologue s’effaçaient comme des incidents sans importance, elle n’y pensait plus du tout, elle ne racontait que son enfance et sa vie de famille avec les siens les Arkharov et les Balachov.

Elle avait enfoui au fond de son cœur la souffrance de n’avoir jamais pu retourner dans son pays du temps de sa jeunesse et quand Adrian questionnait : Tu y retourneras un jour Grand-mère ? « Je le pourrais maintenant, mais il est trop tard, ma vie est ici depuis bien longtemps et tout a tellement changé là-bas, je préfère garder les images du pays tel que je l’ai laissé à 10 ans , je me souviens encore de mes petits poneys que j’avais dû quitter, mon père en partant les avaient confiés à notre cocher avec les chevaux de l’attelage, ils ont du tous mourir depuis bien longtemps, je ne connais plus personne en Russie, j’étais bien petite en partant, en y allant je pense que je me ferais plus de mal que de bien . Mais toi Adrian Balachov, tu y retourneras en voyage un jour quand tu seras un homme, tu visiteras nos campagnes, et Moscou et Saint Pétersbourg et tu leur diras « Je suis Adrian Balachov de la famille des Arkharov et des Balachov, je suis Français maintenant et j’aime la France, mais je porte la Russie dans mon cœur, c’est ma grand mère la princesse Tatiana qui m’a racontée et enseignée notre Russie. Voilà, mon enfant ce qu’il faudra leur dire ! »

Puis elle enchainait aussi sur les incidents de famille, les qualités et les défauts de caractère des uns et des autres, Prince ou pas nous sommes du monde d’ici bas où rien ni personne n’est jamais parfait ! N’oublies jamais cela et essaies d’être bon, le meilleur possible. Tu me le promets ? Oh ! Oui grand-mère, je serais bon comme toi, comme mon père Constantin, et aussi comme ma maman. Tu sais, je vais bien faire attention de ne pas briser l’œuf de Fabergé, promettait Adrian.

« Viens Adrian , ne faisons pas attendre tes parents le repas du soir doit être servi, viens, ensuite tu feras ta toilette et je te borderai dans ton lit. D’accord mon Ange ? »

Le repas du soir fût joyeux, animé, Tatiana cette fois donnait des nouvelles de la propriété de Limoges. Hélène sa belle fille et Constantin son fils l’écoutaient ravis, elle avait l’art et la manière de charmer son auditoire "Si vous n’aviez pas été géologue, ma Mère, vous auriez été conteuse plaisantait Constantin, c’est un plaisir de vous entendre"

Le repas terminé Tatiana accompagna Adrian dans la salle de bain pour l’aider à faire sa toilette. A six ans il savait bien la faire tout seul, mais elle prenait plaisir après la douche à sécher les cheveux fins et blonds, légèrement bouclés « Tu as les mêmes cheveux que moi Adrian mais à ton âge (six ans) ton grand oncle Andréï Arkharov, mon frère, les portait longs jusqu’aux épaules et moi je portais mes cheveux en deux belles tresses entrelacées de ruban, relevées en couronne sur ma tête ! Quand je défaisais mes tresses ils allaient jusqu’à ma taille. Mais évidemment les garçons maintenant coupent leurs cheveux, heureusement que tes parents te les laissent presque demi longs, c’est plus joli ! Montre moi tes petits bras roses, ah ! Je vois que tu es bien fait, tu as bien grandi depuis ma dernière visite de Noël. Allez vite, il est tard maintenant, je parle trop, voila, voila mon petit ange, ton pyjama est bien enfilé, je vais te mettre au lit. Avant cela allons dire bonne nuit à tes parents.

Adrian enchanté par cette grand-mère exceptionnelle la suivit au salon en lui tenant affectueusement la main qu’il portait à ses lèvres, de temps en temps, pour y poser un baiser. Hélène jouait au piano une adaptation d’une fugue de Jean Sébastien Bach et Constantin confortablement installé dans son fauteuil lisait les journaux quotidiens qu’il commentait pour lui-même, selon son habitude, à haute voix en émaillant son discours de quelques remarques plaisantes, ironiques ou approbatrices selon les circonstances et son humeur du jour. Et il terminait sa lecture avec toujours une remarque finale de sa belle voix grave rieuse : « C’est grotesque ! Le monde est fou ! Depuis l’antiquité ! » Hélène riait alors et disait quelquefois en fermant son piano : « Mais mon très cher, sans folies le monde serait bien plat, et comme vous le savez la terre est ronde et n’arrête pas de valser sur elle-même ! Ca ira bien comme ça jusqu’à la fin des temps ! ». « Le plus tard possible, ma chère concluait-il ! » et tous deux ainsi s’amusaient en mots d’esprit pendant un petit moment.

En apercevant Tatiana et Adrian les deux parents s’écrièrent en même temps :

- « Ah ! Voici venir vers nous la Russie Blanche ! Et ses deux militants ! »

-« Nous venons vous souhaitez bonne nuit ! répliqua Tatiana, sans moi cet enfant ne saurait rien de notre famille et de ses origines. D’ailleurs personne n’est jamais sorti spontanément de la cuisse de Jupiter, il est important d’enseigner aux enfants leur identité, leur tradition, leur coutume, leur origine, je n’en tire aucun orgueil et je lui raconte aussi bien nos qualités que nos défauts. Heureusement que je suis là pour redresser le tir »

- « Calmez vous, ma bonne maman, dit Constantin, en riant, vous savez bien que nous comptons sur vous pour cela, n’est-ce pas la prérogative des grands-mères que de transmettre aux petits enfants ?

- « Certainement Constantin, comme à tous les grands-parents ; j’espère que vous le serez plus tard un jour Hélène et vous et que vous prendrez le relais auprès de vos petits-enfants, d’ailleurs mon amie Magalie, Française rapatriée d’Algérie remplit le même rôle auprès de son petit-fils Lorenzo, nous savons nous ce que c’est que d’être exilées du pays de son enfance, d’ailleurs pour elle c’est encore plus important puisqu’elle est en exil ici en France, dans son propre pays d’origine, depuis plus de quarante ans ! Il ne s’agit pas de semer des regrets, mais un savoir, de l’espoir, de la confiance en l’avenir, on ne peut pas progresser avec des ténèbres derrière soi. Il faut éclairer les enfants et les conduire en toute clarté, même si cette clarté comporte des ombres ».

Hélène et Constantin firent diversion en demandant des nouvelles de Magalie.

- « Ah ! Magalie va bien, très bien même, nous préparons toutes deux un projet pour le moment secret. Je vous en parlerai une prochaine fois, quand tout sera au point. Mais il se fait tard. Adrian ! Souhaite bonne nuit à tes chers parents ! »

- Adrian lâcha la main de Tatiana et alla embrasser ses parents en leur souhaitant bonne nuit .Comme chaque soir Hélène et Constantin le gardèrent chacun à son tour un petit moment en le tenant enlacé sur leur cœur.


- « Mes enfants ! il se fait tard Adrian doit dormir, je vais le conduire dans sa chambre et quand il sera endormi, je viendrai vous rejoindre, j’ai à vous lire la lettre que je viens de recevoir de Paul Balachov, mon écrivain de mari qui s’apprête à rentrer des Etats-Unis après une série de conférences remarquables et le lancement de son dernier livre. Je dois vous en parler. Mais pour le moment …. Viens Adrian mon bel ange ! tu dois aller dormir » Puis elle fit une petite révérence « La Russie Blanche se retire jusqu’à demain ! » ajouta-t-elle avec un petit sourire ironique, et prenant de son petit fils elle se retira en levant légèrement le menton, ce qui chez elle dénotait une petite contrariété.

« Ma Chère Hélène, ma mère ne changera jamais ! » dit Constantin avec un petit soupir.

« Pourquoi changerait-elle ! Elle est absolument charmante et toujours si spontanée, venez, Constantin, il se fait tard et demain nous devons faire nos courses avant de partir en vacances ; et ce ne sera pas une journée de tout repos ! »

Tatiana borda Adrian et l’aida à réciter une petite prière ; installé dans son lit comme un petit prince, il tourna son regard vif et bleu rempli de lumière vers l’œuf de Fabergé qui trônait sur la table de nuit tout près de lui avec une petite veilleuse : « Tu me diras le secret de l’œuf de Fabergé et de sa petite serrure , grand-mère je serai bien sage, je serai bien sage … » murmura-t-il en s’endormant paisiblement alors que Tatiana lui caressait doucement le front de ses longs doigts fins. Au bout d’un court instant elle comprit à sa respiration régulière et profonde qu’il était tout à fait endormi et se retira sur la pointe des pieds légère comme une fée. C’était une femme élancée, très mince, d’une démarche souple en dépit de son âge. Sa beauté adoucit par les années était faite de grâce et de douceur, ce qui n’excluait pas des réparties vives dans les conversations animées. Tout le monde remarquait ses atouts, de longs cheveux cendrés retenus en torsade souple sur la nuque, un visage délicatement rosé aux pommettes hautes, éclairé d’un regard bleu lumineux, un joli nez droit bien marqué sur un fin sourire, ses gestes légers et une allure distinguée, soulignaient en elle une distinction naturelle et un maintien élégant.

Adrian cette nuit là fit un rêve étrange. Soudain il vit en songe l’œuf de Fabergé grandir et tripler de volume, sa porte dorée s’ouvrit toute grande et de l’intérieur de l’œuf il vit sortir avec surprise la « Roussette » une grosse poule qu’il avait pu voir dans la basse cour de la propriété de Limoges lors des dernières vacances de Noël ; Tiens la Roussette ! pensât-il dans son rêve, que fais-tu là ? ….. La Roussette battit légèrement des ailes en s’ébrouant sur le rebord de la table de nuit, Adrian l’observait, alors à sa grande surprise il remarqua que de grosses larmes bien détachées les unes des autres, comme des petites perles de diamant, tombaient une à une de ses yeux. Adrian savait que les poules n’ont pas de dents, mais il ne pensait pas qu’elles puissent pleurer ! « Pourquoi pleures-tu Roussette ? » la questionnât-il en même qu’il se disait qu’elle ne pourrait lui répondre, mais à son grand étonnement il entendit une petite voix roque qui sortait du gosier de la poule : « Adrian Balachov, tu dois me sauver, j’ai pondu dans un joli panier en osier garni de paille 12 œufs magnifiques que je veux couver pendant vingt et un jours pour faire naître mes petits poussins ! Mais un drame se prépare ! Ta grand-mère Tatiana m’a promise en repas de Pâques à son métayer Jean, il est question de m’attraper la veille de Pâques, de me trancher le cou, de me plumer et de me faire cuire en sauce blanche « une sauce poulette comme ils disent », et de me servir le lendemain Dimanche à midi ; s’il ne s’agissait que de moi, je sais que c’est le sort commun des poules et je ne pourrais tenter d’y échapper, mais il s’agit de sauver ma future couvée de poussins , aides moi mon petit prince à échapper à ce triste sort ! Sauves-moi je t’en prie et surtout ne révèle ma demande à personne ! » Puis soudain la Roussette rentra dans l’œuf de Fabergé en s’effaçant à reculons, la porte dorée se referma doucement, la clef se mit à tourne toute seule dans la serrure et l’œuf reprit sa taille normale ! Adrian se réveilla l’espace d’une demi seconde puis replongea dans un sommeil paisible jusqu’au matin.

Après une longue nuit il ouvrit les yeux vers dix heures du matin. C’était le premier jour des vacances scolaires de Pâques et il avait bien pris soin la veille de faire régler son réveil à 10 h. par Nina pour faire la grasse matinée. Eveillé par le gring … gring … strident, il étendit la main pour arrêter la sonnerie, quand soudain il aperçut l’œuf de Fabergé sur sa table de nuit, ainsi que Tatiana l’avait posé la veille. Cela lui rappela vaguement quelque chose de confus. Il était encore ensommeillé et se frotta doucement les yeux, puis au bout d’un petit moment enfin présent, il sauta prestement du lit et se dirigea vers la fenêtre de sa chambre, écarta les rideaux de velours bleu, se haussa sur la pointe des pieds, et selon son habitude comme il le faisait tous les matins, il regarda sur la gauche Notre Dame de Paris qui se profilait à l’horizon sur un ciel bleu pale, autour de sa flèche des petits nuages blancs poussés par un vent léger naviguaient vers l’est , il ramena son regard sur la Seine qui roulait ses flots paisibles en mille vaguelettes frémissantes reflétant les rayons du soleil. Un bateau mouche s’avançait sur les eaux depuis l’Hôtel de Ville à droite, chargés de passagers et de touristes vêtus de couleurs différentes, quelques mouettes planaient autour des quais, en bas les grands arbres se dressaient en bordure laissant deviner au sommet de leurs branches dégarnies tendues vers le ciel, quelques bourgeons et minuscules feuilles vertes en prélude au printemps. Des voitures circulaient en bordure de Seine, des piétons passaient sur les quais et dans les rues, de loin et du haut de son observatoire, ils lui paraissaient petits comme des lilliputiens. Après dix minutes de contemplation, il revint près de son lit où se trouvait un interphone relié à toutes les pièces de la maison et appela :

« Maman, papa, grand-mère, Nina ! Bonjour, je suis réveillé et vous ?

Il reçut immédiatement la réponse de Nina :

- « Je suis dans la cuisine, bonjour Adrian, mets ta robe de chambre et viens me rejoindre à la cuisine, je vais préparer ton petit déjeuner, d’accord ? »

- « Ok, Nina ….. D’accord ! »

Il traversa, à cloche pieds pour s’amuser, le long couloir qui séparait les pièces de l’appartement et pénétra dans la cuisine.

- « Tu as oublié de mettre tes pantoufles, remarqua Nina, tu vas avoir froid sur les carreaux de la cuisine, assieds toi vite devant la table, poses tes pieds sur le barreau de la chaise pour qu’ils ne touchent pas le sol, je vais te servir ton petit déjeuner, que veux-tu du lait avec ou sans chocolat ?, une tartine beurrée, de la confiture, un œuf à la coque, un fruit ? »

- « Je veux du lait sans chocolat, une tartine de confiture, une pomme et surtout je ne veux pas d’œuf à la coque »

Nina tout en préparant le petit déjeuner, l’informa que sa grand-mère était partie assister à l’ office de l’Eglise Russe Orthodoxe, qu’elle déjeunerait ensuite chez des amis, que ses parents étaient partis faire des courses et ne rentreraient que vers 16 heures dans l’après midi, et lui apprit qu’ils iraient tous les deux à midi déjeuner rue Lagrange dans un petit restaurant qui proposait des quiches, des tartes, des tourtes, garnies de toutes sortes de fruits et de légumes et qu’ils prendraient ensuite le bus 63 boulevard Saint Germain près de la Place Maubert, pour arriver au Jardin des Plantes se promener et visiter le Zoo.

Nina parlait très vite et sans s’arrêter a d’une voix vive et enjouée avec un charmant « petit » accent italien. Mais ce matin Adrian ne l’écoutait plus depuis qu’elle lui avait parlé d’œuf à la coque, il se souvenait vaguement de son rêve et cherchait en se concentrant à en retrouver toutes les images et à reconstituer le discours de la Roussette.

Au bout d’un moment il se souvint de l’essentiel : la Roussette avait pondu 12 œufs qu’elle voulait couver pour faire naître des poussins, la Roussette ne voulait pas finir en sauce « poulette » sur la table de Jean le métayer, la Roussette comptait sur lui pour la sauver, la Roussette lui avait demandé le silence

Comment faire ? Quelle histoire !

- « Nina, est-ce que les rêves se réalisent ? »

Nina réfléchit un moment et prudente répondit bien qu’italienne par une réponse de
Gascon :

- « Quelquefois, Adrian, quelquefois seulement ; bois ton lait, il est tiède, ne le laisse pas refroidir, prends ta tartine, ne fais pas tomber des miettes, tu es trop mignon mon trésor ! Tu vas terminer ton petit déjeuner tout seul comme un grand, pendant ce temps, je vais me préparer pour sortir et ensuite tu feras rapidement ta toilette, je t’habillerai en sport et nous partirons vers 11h.30 pour arriver à 12h. au restaurant, le temps de choisir nos tartes, d’attendre le service et de manger, il sera déjà au moins 14 h. ensuite nous irons au Zoo et nous serons de retour ici vers 16 h. pour retrouver la famille ; nous n’avons pas de temps à perdre ! D’autant que nous devrons ce soir préparer les valises pour partir tous ensemble demain à Limoges »

Limoges pensa Adrian en mâchonnant sa tartine, Limoges, la Roussette, les 12 œufs à couver, les poulets à naître, le métayer, la sauce poulette, comment faire ? Il ne trouvait pas de solution.

Finalement comme l’avait prévu Nina ils se retrouvèrent fins prêts à 11h.30 en bas de l’immeuble dans l’Ile de la Cité, eurent tôt fait de longer les quais et le pont devant Notre Dame de Paris, de contourner le Square Viviani, et bifurquer à gauche pour se retrouver Rue Lagrange dans le Petit restaurant.

Tout en marchant Adrian avait distribué discrètement des miettes de pain aux moineaux, et en arrivant au restaurant il se dit « A mon tour maintenant ! ». Tous les deux choisirent les tourtes, la salade et les tartes de leur choix et le repas se passa à raconter des anecdotes sur l’Ecole d’Adrian et sur les Cours de Nina ; elle se trouvait pour deux ans en France pour approfondir « son français », et commençait d’ailleurs à bien le parler avec un délicieux accent italien. Vers 15 heures ils se retrouvèrent au Zoo. Tout se passa bien, mais en dépit de l’intérêt de cette promenade, Adrian par moment revenait en pensée à la Roussette. C’était son souci du moment. Comment faire pour la sauver de la casserole de Jean ? En rentrant à 16 h. 30, ils retrouvèrent toute la famille et après un bref goûter pris en commun, ils commencèrent à préparer les valises s’aidant les uns et les autres en échangeant des propos pleins de gaieté, pendant ce temps Adrian s’amusait à décorer des œufs pour Pâques avec l’aide de Nina qui se partageait entre lui et ses parents. Avec toutes ces occupations le soir et l’heure du souper arrivèrent bien vite, ils décidèrent de se mettre à table dans la cuisine pour économiser du temps, de se contenter d’un repas rapide, omelette, jambon, fromage, fruits, et de se retirer très vite pour dormir afin de pouvoir partir dès le lendemain matin à l’aurore naissante en voiture pour Limoges. Ce qui fut décidé fût fait et Adrian oublia pour ce soir et la nuit le « drame » de la Roussette.

Le lendemain en fin d’après midi ils arrivèrent enfin en cortège de deux voitures dans l’allée bordée de chênes qui conduisait à la propriété. Mirka la chienne de chasse et son fils Beaupoil, ainsi nommé en raison de son beau pelage roux soyeux, virent de loin arriver les voitures et dès que les voyageurs en descendirent, ils furent immédiatement encerclés par les deux chiens qui leur léchaient les mains et jappaient allant de l’un à l’autre, en poussant des aboiements joyeux.

Tandis que Jean le métayer aidait la famille à décharger les voitures des valises et colis, la porte du grand hall s’ouvrit toute grande au-dessus du perron et Zelda, une personne d’un certain âge habituée à aider dans la maison, logée et nourrie dans les lieux depuis plus de dix ans, apparut en haut des marches le visage réjouit. A sa vue, Adrian gravit très vite les marches pour se précipiter dans les bras de sa « pâtissière attitrée » qui le gâtait toujours avec de bons gâteaux aux parfums de vanille et de fleur d’oranger ; toute à sa joie elle salua de la main les autres membres de la famille et sans plus attendre, souleva comme une plume son « chouchou » pour l’emporter dans ses bras comme un trophée dans une petite pièce, « la petite salle à manger », mitoyenne de l’immense cuisine où elle l’installa devant une superbe tarte aux pommes, préparée à l’avance tout spécialement pour lui. Tandis qu’Adrian en dévorait une large part, elle commençât à lui parler de tout ce qui s’était passé depuis les vacances de Noël. Il était question de petits lapins blancs au pelage soyeux, ressemblant « à des boules de laine en angora », nés récemment dans le clapier, avec des petits yeux bordés de rose, des exploits de Beaupoil qui commençait à sauter toutes les haies avec zèle, « Si tu le voyais, et tu le verras, quand il saute il ressemble à une fusée » et puis de Limousine la belle vache blanche qui n’arrêtait pas de donner du bon lait crémeux « Tu verras, c’est autre chose que le lait de Paris, tu m’en donneras des nouvelles, Ah ! Mon chouchou comme je suis heureuse de te voir près de nous pour deux semaines, je vais te préparer tous tes gâteaux préférés »

Pendant ce temps la famille aidée par Jean le métayer avait déchargé les valises et s’installaient dans les appartements du premier étage. Chacun prit une douche et se reposa un moment pour se détendre des fatigues du voyage en attendant l’heure du repas du soir.

Nina ne connaissait pas la maison, sa première impression fût un ravissement sans fin en voyant les précieuses porcelaines qui garnissaient la commode de sa chambre, en particulier une petite statuette qui représentait une marquise du XVIII° siècle en grande robe de Cour. « C’est merveilleux… merveilleux …. Et d’une telle finesse ! » Elle remarqua aussi dans une petite vitrine d’ébène une belle collection d’œufs de Fabergé, tous différents les uns des autres et dont ont ne pouvait dire lequel était le plus beau, tant tous étaient parfaits.

Elle était encore dans sa contemplation quand elle entendit un petit grattement à sa porte, c’était Zelda et Adrian venus lui offrir du thé et des gâteux secs, le tout joliment présenté sur un plateau garni d’un napperon de dentelle. « Vraiment je suis gâtée : Merci Madame, Merci Nicolas, Merci ! » puis elle offrit un siège à Zelda et se présenta : « Je suis Nina, je m’occupe d’Adrian à Paris, pour le conduire à l’école et dans ses promenades » « Eh bien ! Moi je suis Zelda, j’aide dans la maison et quand Adrian arrive je m’occupe aussi de lui, nous allons bien nous entendre j’en suis sure ».

Zelda était une personne pas très grande, ronde avec un visage toujours réjouit. Elle portait une frange de cheveux noirs coupés ras tout juste au-dessus de ses sourcils, pour les autres en carré au dessous des oreilles, et de ses grands yeux noirs ronds comme des prunes émanait un regard profond et très doux sur de larges pommettes roses. Sa robe large en coutil gris était garnie au col d’un croquet blanc ainsi qu’aux poignets des manches gonflantes et en bas de la jupe assez longue. Elle portait sur ses épaules comme une paysanne d’autrefois, un châle en laine mauve tricoté avec art, qui tombait en pointe sur sa taille dans le dos, et tout en elle visage et allure inspirait une sympathie immédiate, et au bout d’un quart d’heure de conversation, Nina eut l’impression de la connaître depuis longtemps.

Adrian, qui commençait à sentir la fatigue de cette longue journée passée à voyager, demanda à Zelda de le faire souper avant la famille avec elle et Nina. Tous les trois descendirent à la cuisine et en toute simplicité les deux nouvelles amies Nina et Zelda préparèrent le repas tandis qu’Adrian, assis sur le banc de bois devant la grande table de campagne, regardait attentivement les unes après les autres les assiettes anciennes qui décoraient le buffet en chêne, sculpté de rosaces et de losanges. Après un potage de légumes « du jardin » au fumet délicat, Zelda leur présenta dans une grande soucoupe du lait caillé sucré saupoudré de cannelle (recette de Magalie, recueillie depuis quelques temps par Tatiana, communiquée à Zelda) « C’est bien meilleur que les yaourts de Paris, vous verrez … Servez vous … servez vous Nina, et toi mon chouchou voilà en plus pour toi une petite douceur ! » Et elle sortit d’une jolie boite en métal un petit gâteau sec aux amandes, parfumé à l’orange.

Adrian finissait de le grignoter en tombant de sommeil, quand Hélène arriva dans la cuisine « Ah ! Vous êtes là, je te cherchais Adrian, ta grand-mère te réclame en haut pour te mettre au lit, viens vite mon ange ! Zelda je vous verrai demain j’ai hâte d’avoir de vos nouvelles mais en attendant passez une bonne nuit, et vous aussi ma petite Nina ». Elle prit Adrian presque endormi dans ses bras et en bas des escaliers elle appela Constantin à la rescousse pour le monter dans les appartements. Nicolas fût mis au lit par Tatiana selon leur rite d’usage et ensuite la famille se réunit dans la cuisine pour un petit souper rapide.

Tous avaient hâte de se retirer pour passer une nuit réparatrice. Adrian dormit d’un seul trait sans aucun rêve et quand il se réveilla le lendemain matin, son premier souci fût de demander à Nina de téléphoner à Madame Vidalin, la femme du métayer, pour qu’elle avertisse Sébastien son fils qu’il voulait jouer avec lui. Au bout d’un moment Sébastien 14 ans, le « héros » d’Adrian arriva à pas pressés et se présenta dans le Hall. Adrian l’attendait depuis le coup de téléphone avec une grande impatience : il admirait ce grand garçon, long et mince, qui savait tout faire, à savoir fabriquer des arbalètes et des tire boulettes avec des baguettes de bois souple, monter sur un cheval en le tenant assis devant lui pour aller au trot visiter la propriété, lui apprendre à monter aux arbres pour cueillir des fruits, tirer à la carabine, capturer des serpents, pêcher des grenouilles dans les ruisseaux, enfin mille et une choses que les enfants jeunes ne peuvent pas encore faire tout seul, surtout quand ce sont des petits citadins. Mais ce jour-là il avait principalement pour idée de demander à Sébastien de lui faire visiter la basse-cour qui se trouvait près de la maison de Jean, environ à cinq cent mètres de là parce que son œuf à la coque du petit déjeuner, lui avait brusquement rappelé la Roussette et tant que ce problème ne serait pas réglé, il sentait qu’il ne pourrait vraiment pas s’amuser « tranquille ».

Sébastien n’eut pas le temps de souffler :

- « Bonjour Sébastien, viens, viens conduis moi à la basse cour je veux voir laRoussette, tout de suite, tout de suite ! »

- « La Roussette ? la Roussette ? Elle n’est plus dans la basse cour mais dans une grande cage grillagée que mon père a construite spécialement pour la séparer des autres volailles, afin de la bien nourrir et l’engraisser avant le Jour de Pâques ; en effet Madame Balachov l’a donné à mon père et nous en ferons notre repas de fêtes, mais si veux la voir, viens, allons-y, elle se trouve installée sous le dépôt d’outils dans la cour de notre maison »

Ainsi c’était donc vrai ! La Roussette était condamnée à mort et à finir en morceaux cuite en « sauce poulette » sur la table de Jean Vidalin ! Son rêve se confirmait ! Que faire pour remplir sa mission de sauvetage ? Il était important d’agir tout de suite.

- « Allons-y, Allons-y vite, vite, je veux la voir, savoir où elle se trouve, c’est important »

- « Important ? Pourquoi ? » interrogea Sébastien intrigué en descendant les marches de la maison avec son petit camarade.

- « Parce que, parce que, je ne peux pas t’expliquer çà maintenant, mais je te dirai plus tard ce que … ce qu’il en est» bafouilla Adrian.

Il s’arrêta de parler en s’apercevant qu’il allait trahir la Roussette laquelle dans son rêve lui avait demandé de la sauver sans ne rien dire à personne. Et puis d’ailleurs comment expliquer à Sébastien que les poules parlent dans les rêves ? C’était trop compliqué, il risquait des moqueries.

Ils avançaient dans l’allée, bordées de grands arbres, qui tournait un peu vers le fond de la grande cour entourant la maison du métayer et enfin arrivèrent dans un grand dépôt où des outils agricoles et des vélos étaient rangés sur les côtés, et au milieu duquel se dressait une cage grillagée de deux mètres sur deux en largeur, et de deux mètres en hauteur. A l’intérieur de la cage se trouvaient un perchoir, une large corbeille d’osier garnie de paille blonde, une bassine de grains de blé concassés, une petite bassine d’eau et un petit tas de minuscules graviers. La Roussette pour le moment sans s’occuper de ses visiteurs, s’activait son « appartement », allant de-ci et de-là en gloussant et dandinant son corps lourd sur ses pattes agiles. Elle s’arrêtait par moment pour picorer des grains de blé et de minuscules grains de gravier. Par moment pour faire sa toilette, elle grattait le dessous de ses plumes et de ses ailes avec son bec en tournant son cou adroitement. Adrian contourna les parois grillagées de la cage et remarqua que l’une d’elles était équipée d’une porte maintenue fermée par une chaîne en gros maillons de plastique et un gros cadenas.

- « Qui a la clef du Cadenas ? »

- « Mon père en a une, et ma mère la seconde, c’est plus pratique pour s’en occuper, lui porter du grain, de l’eau et nettoyer sa corbeille et sa cage, ils le font deux fois par jour, tantôt l’un, tantôt l’autre, selon leurs occupations »

Adrian progressait dans son enquête. Il en savait déjà beaucoup, il désirait en savoir encore plus, mais il ne lui fallait pas éveiller l’attention de Sébastien. Il avait deux semaines devant lui pour mettre au point son opération de sauvetage et pour ce matin il désirait que Sébastien lui fabrique une arbalète et des flèches en bois, pour s’exercer au tir dans une cible en carton qu’il comptait accrocher sur un grand tronc d’arbre.

- « Bon j’ai assez vu la Roussette, je voulais savoir si elle avait des poussins mais maintenant allons dans l’atelier derrière la cour et s’il te plait Sébastien fabrique moi une arbalète en bois, des flèches et une cible en carton»

En se dirigeant vers l’atelier les deux enfants croisèrent Madame Vidalin qui les avaient vus passer dans la cour et les attendait au passage pour embrasser Nicolas et l’inviter à déjeuner. Adrian fût ravi de cette invitation et Madame Vidalin sans plus attendre se précipita à l’intérieur de sa maison pour prévenir Zelda par téléphone. Au bout d’un moment Zelda rappela et confirma l’accord des parents d’Adrian.

Il avait été décidé, par Tatiana, Hellène et Constantin en l’absence du grand père Paul Balachov, dont le retour était annoncé pour le début de la semaine suivante, que les membres de la famille s’accorderaient d’ici là une totale liberté d’horaires, afin de profiter chacun des journées à sa guise et ils ne devaient se retrouver réunis tous en famille que pour les repas du midi et du soir. Ainsi, Tatiana pourrait partir au volant de sa smart rendre visite à ses amies et amis de la région selon sa volonté ; Hélène pourrait se lever à n’importe quelle heure le matin, flâner dans le jardin, déjeuner selon son appétit, et réserver toutes ses après midi pour les répétions des Rapsodies Hongroises de Franz Litz en vue de préparer à la perfection le concert de piano qu’elle devait donner dans la semaine suivant Pâques, lors de leur retour à Paris ; Constantin après un petit déjeuner avec Zelda et Adrian , profiterait d’ une partie des matinées pour parcourir les champs avec Jean le métayer, le questionner sur l’avancement des cultures, aller ensuite acheter ses quotidiens à Limoges , organiser ses après-midi selon sa fantaisie ; l’emploi du temps d’Adrian avait été programmé par Hélène: le matin avec Zelda et Sébastien, après le repas de midi une petite sieste avec Nina, ensuite une demie heure avec Hélène et Constantin dans le grand salon avant les répétitions, ensuite vers 15 h. et jusqu’au repas du soir, de nouveau avec son inséparable Sébastien en qui toute la famille faisait entière confiance en raison de son caractère sérieux et agréable. Et bien entendu, après le repas du soir, avec Tatiana pour la « cérémonie » du couche

Nina disposerait de toutes ses matinées librement pour se reposer et réviser ses cours, prendre des bains de soleil dans le jardin de fleurs, aller à Limoges visiter la ville, faire connaissance avec la jeune fille de la propriété voisine etc.… et l’après midi après sa petite sieste avec Nicolas faire tout ce qu’il lui plairait.

Zelda ne changerait rien à son programme, son emploi du temps était improvisé d’heure en heure par elle-même selon ce qu’elle avait envie de faire, pâtisseries, cuisine, repassage, jardinage, et Madame Balachov la laissait s’organiser à son gré sans jamais lui donner d’ordre. Ce n’était pas le genre de la maison.

Tous étaient satisfaits de ce compromis de liberté qui prendrait fin dès le retour de Paul Balachov. En effet, le grand père quand il était là, aimait avoir autour de lui tous les membres de sa famille à discrétion pour leur raconter mille histoires plaisantes, leur montrer les films qu’il rapportait de ses voyages, et le reste du temps pour se promener avec eux dans les environs.

Ce jour-là Madame Vidalin après le repas, proposa à Sébastien et Adrian de les emmener avec elle en voiture à Limoges où elle devait se rendre chez un volailler pour négocier avec lui le prix d’une douzaine de poules de la basse cour qu’elle devait lui livrer la veille des fêtes et ensuite faire quelques courses. Lorsqu’ils arrivèrent dans la grande boutique, Adrian pendant que Madame Vidalin discutait avec le commerçant, remarqua sur l’étal des morceaux de volailles soigneusement découpés et présentés à la vente sur de larges plats ronds en faïence blanche décorée de petites fleurs roses et bleues. Il lui vint immédiatement une idée ….. Si la veille de Pâques il s’arrangeait pour faire s’enfuir la Roussette de sa cage et la remplacer par deux kilos de morceaux de poules prêts à cuire ? Il suffirait de mettre Sébastien dans l’affaire, de casser sa tirelire heureusement bien garnie et d’organiser les opérations ! Cette idée le tenailla jusqu’après le repas du soir et lorsque Tatiana sa grand-mère eut quitté sa chambre après l’avoir bordé comme d’habitude dans son lit, le croyant endormi, il se répétait intérieurement qu’il devrait dès le lendemain en parler à Sébastien le « mettre dans le coup » sans pour autant trahir la demande de secret de la Roussette.

Dès le lendemain matin, tout aussitôt après le petit déjeuner Sébastien arriva comme d’habitude et dès qu’ils furent seuls dans la cuisine, il lui expliqua son plan de sauvetage :

- « Sébastien, je pense que les morceaux de volaille du volailler feraient un bien meilleur repas que la pauvre Roussette, j’ai une grande tirelire bien garnie, je voudrais faire plaisir à tes parents. Si nous relâchions La Roussette en secret en faisant croire qu’elle s’est enfuie par ma faute et si pour me faire pardonner j’offrais deux kilos de poule achetés chez le volailler à tes parents, est-ce que tu crois que ce ne serait pas une bonne idée pour un meilleur repas ? mais bien sur je compte sur toi pour me procurer la clef de la cage »

- « Avec des si … et des mais … on peut tout faire ! » plaisanta Sébastien qui voyait déjà les difficultés de l’opération, mais s’apercevant de l’air dépité d’Adrian il se reprit toute de suite :

- « Je vais réfléchir à la question, voyons … prendre la clef qui se trouve suspendue dans la cuisine, bon …. d’accord, il suffirait d’attendre que ma mère s’absente un moment la veille de Pâques, mais si nous libérions la Roussette où irait-t-elle toute seule ?, elle risquerait de se faire attraper et dévorer par Beaupoil, il vaudrait peut-être mieux la prendre le soir pendant son sommeil et la confier à quelqu’un … mais je ne peux pas sortir le soir …. Je vais voir çà avec Jérôme mon copain de la propriété voisine et je t’en reparlerai ».

Adrian se trouva à demi rassuré. Mais il voyait que son affaire progressait dans le bon sens et faisant confiance à Sébastien il lui demanda aussitôt de sortir le cheval de promenade et de partir tous les deux pour rendre visite à Jérôme. Il faut « battre le fer tant qu’il est chaud » se dit-il en se rappelant tout à coup de l’expression favorite de son père, lorsqu’il s’avisait de régler une affaire urgente dans la journée même.

Le cheval sortit de l’écurie fût sellé en un temps record et tous deux sur la même monture partirent au trop par les allées traversant les champs, et furent rendus au bout d’une demie heure chez Jérôme un grand garçon du même âge que Sébastien, son copain de collège, qui se trouvait assis tranquillement sur le perron de sa maison occupé à réviser ses cours. Il se leva immédiatement en reconnaissant ses visiteurs pour les accueillir avec de grandes exclamations de joies, les bras ouverts. Jérôme connaissait bien Adrian et le trouva grandi depuis les dernières vacances. Après quelques échanges de nouvelles, Sébastien entreprit de lui faire part de leur projet au sujet de la Roussette. Jérôme saisit la question mais il aurait souhaité en parler à ses parents : « Mais non ! C’est entre nous, il ne faut pas en parler, ils vont nous décourager » déclara Sébastien « il suffira de dire que tu as trouvé « une » poule sur le bord de la route et que pour ne pas la laisser mourir de faim tu l’as placée dans votre basse-cour ! » Jérôme hésita un moment, essaya de parlementer encore un peu, puis convaincu par l’insistance de nos amis, il finit par céder. L’opération commando fut programmée pour la veille du Dimanche de Pâques. « Dès que nous aurons pu nous saisir de la Roussette, nous te téléphonerons pour t’avertir en disant SOS et nous te l’apporterons, tu la mettras dans ta basse-cour et pour le reste nous irons dire à nos parents que la porte de la cage était ouverte, qu’Adrian a essayé d’entrer pour la caresser et qu’elle en a profité pour s’enfuir, donc toute la journée de la veille de Pâques, ne bouge pas d’ici parce que ne savons pas à quel moment on pourra opérer sans nous faire prendre ! »

Pendant les jours suivants, Adrian et Sébastien tout en s’amusant repérèrent les moments d’absence les plus fréquents des parents Vidalin et peaufinèrent leur projet d’opération avec minutie.

Entre temps, le grand père Balachov était rentré d’Amérique et Adrian fût repris par les distractions de la famille regroupée autour de l’aïeul, séances de contes et de cinéma à domicile, auditions des morceaux de Litz, qu’Hélène leur offrait de temps en temps, critique des articles de presse par Constantin, promenades dans les environs , visites de musées et de monuments, visites des fabriques de porcelaine, agrémentées des commentaires de Tatiana qui était amoureuse de tous les bibelots d’art et intarissable sur ces questions, repas en commun le midi et le soir, soit à la maison , soit à Limoges au restaurant, sans compter les séances de dégustation des pâtisseries de Zelda , et la soir Adrian rompu ne demandait pas son reste pour s’endormir profondément à la fin de ces journées bien remplies.

Mais la veille de Pâques Sébastien vint chercher Adrian après le petit déjeuner et demanda la permission de l’emmener passer la matinée avec lui chez ses parents. La famille fût d’accord d’autant que les préparatifs de la veille de Pâques les occupaient tous et qu’ils pensaient qu’il serait plus au calme à s’amuser avec Sébastien plutôt que d’aller de l’un à l’autre.

Les Vidalin par miracle devaient partir le matin pour livrer les poules au volailler et ne devaient rentrer que vers les 14 heures. Avant de partir, Madame Vidalin avait préparé le repas de midi pour les deux enfants et il fût convenu que Zelda viendrait les servir à midi.

Il n’y avait pas de temps à perdre !

L’opération s’engagea en deux temps, trois mouvements ; dès que la voiture des Vidalin s’effaçât de la Grande allée pour s’engager sur la route départementale qui conduisait à Limoges, Sébastien prit un sac, décrocha la clef, ouvrit la porte grillagée, pénétra à l’intérieur de la cage, et pendant qu’Adrian maintenait la porte fermée, il saisit prestement la poule qui n’eut que le temps de se débattre en poussant des cris perçants et se retrouva dans le sac sans réaliser ce qui lui arrivait. Après avoir téléphoné à Jérôme pour lui donner le signal convenu, ils partirent sans plus attendre cette fois en vélo, le sac attaché sur le porte bagage de Sébastien et Adrian installé sur le cadre. Dans « sa camisole de force » La Roussette continuait à se débattre et à crier ; mais heureusement ils arrivèrent sans encombre à l’entrée de la propriété voisine où Jérôme les attendait. La poule rousse passa très vite dans les mains de Jérôme « La suite de l’opération t’appartiens » déclara Sébastien « Porte- là tout de suite dans ta basse-cour, quant à nous nous allons rentrer pour attendre mes parents et leur apprendre qu’Adrian a voulu caresser La Roussette et qu’elle en a profité pour s’enfuir ».

Ils se séparèrent très vite. Il restait à raconter l’histoire de « la fuite de la Roussette » aux Vidalin. Et c’est là qu’Adrian manifesta ses dons de comédien ! Madame Vidalin refusa qu’il casse sa tirelire pour acheter deux kilos de poule en morceaux chez le volailler pour se faire pardonner « son imprudence »

- « Mais non, mais non, mon petit chou, ce n’est rien, ce sont des choses qui arrivent, ne te fais pas de souci, nous avons assez de poules dans le poulailler, nous en choisirons une autre et puis c’est tout, n’y pense plus mon ange, et puis ce n’est même pas la peine d’en parler à Madame Balachov, ça risquerait de la contrarier, ça n’en vaut pas la peine !» Elle se crut même obligée pour le consoler de lui préparer une tarte aux pommes, tant il paraissait contrit.

Tatiana très occupée par les préparatifs de Pâques avait complètement oublié qu’elle avait promis à Adrian de lui dévoiler le secret de l’œuf de Fabergé.

Il se garda bien de le lui rappeler. Il avait sauvé la Roussette avec l’aide de Sébastien et de Jérôme sans avoir à dévoiler son rêve étrange. Il détenait lui aussi « un secret » et de plus partagé avec Sébastien et Jérôme, un mensonge à cacher. Mais avec l’insouciance de son âge, quand il y pensait, il se répétait ce que disait parfois Tatiana « nul n’est parfait en ce bas monde ! ». Et tout bien réfléchi grâce au succès de la mission de sauvetage, il se disait qu’il n’était pas si nul que ça et peut-être même un tout petit peu parfait.

Et les Fêtes de Pâques se passèrent très bien ainsi dans le meilleur des mondes !

Mais, de retour à Paris, Adrian se rappela tout à coup que les douze œufs de la Roussette avaient été oubliés dans le panier d’osier et qu’ils avaient du finir en omelette. Ceci le tourmenta pendant quelques temps, puis avec la faculté que les enfants possèdent d’imaginer le meilleur au lieu du pire, il préféra penser qu’une autre poule de la basse cour avait du adopter les œufs orphelins, les couver et en faire naître des poussins. Il n’osa pas téléphoner à Zelda pour s’en assurer, et en conclusion, dans le doute, pour se consoler il se dit après tout j’ai sauvé la Roussette, c’est le plus important, et on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, la Roussette en pondra bien d’autres encore

Quand il reprit l’école la première leçon portait sur l’éclosion des petits poussins, Adrian fit un devoir parfait et obtint 10 sur 10, et en rentrant le soir il demanda à Nina en récompense de lui donner un œuf en chocolat qu’il croqua à belles dents.

- Ah! dit Nina, c’est le dernier que tu viens de croquer, il faudra m’accompagner demain chez le chocolatier pour en faire provisions, mais les Fêtes de Pâques sont derrière nous et j’ai bien peur que nous n’en trouvions plus.

- Ca m’est égal ! lui répondit Adrian, je téléphonerai à Zelda, elle en fera avec du chocolat noir, du chocolat blanc et du lait et elle me les fera parvenir par Sébastien qui doit venir prochainement chez nous, et ils seront meilleurs que ceux du chocolatier.

AVRIL 2006